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Il m’arrive souvent d’avoir l’impression de ne pas être clair, surtout pour ceux qui me lisent et me commentent le plus. Je suis plutôt pragmatique. 1/ Je pars d’observations. 2/ Je fais quelques hypothèses plutôt étayées par des avancées scientifiques. 3/ Je me dis alors qu’il faut tenir compte de tout cela et essayer des solutions. Dire qu’on préfère la logique de l’ancien monde plutôt que celle du nouveau est totalement absurde. Le nouveau monde est là, nous devons apprendre à y vivre ensemble.

1. Observations

  1. Notre monde traverse une phase unique de son histoire : en une échelle de temps relativement courte, les hommes ont un impact de grande amplitude sur la biosphère. Cette situation nouvelle, l’interdépendance massive, s’accompagne de problèmes nouveaux (dérèglements climatiques, pénurie de matière première, appauvrissement de la biodiversité, nécessité de changer de technologie…).
  2. Nous sommes les héritiers de la renaissance et de la révolution industrielle, nous occidentaux vivons majoritairement dans la civilisation moderniste comme l’appelle les tenants de l’integral philosophy. Cette civilisation s’est développée en s’appuyant sur le paradigme réductionniste formulée par Descartes. Nous avons appris à construire des systèmes compliqués : usines, avions, ordinateurs, programmes…
  3. Depuis la sédentarisation, les sociétés humaines se sont hiérarchisées, jusqu’à atteindre avec la révolution industrielle le degré de hiérarchie que nous connaissons aujourd’hui. Cette forme d’organisation, notamment dans les gouvernements et les entreprises, nous a aidés à traverser bien des épreuves et à construire le monde que nous connaissons.
  4. Quand les sociologues cartographient nos structures sociales, ils découvrent souvent des réseaux qui brouillent les pyramides. Voir ces réseaux apparaître ne veut pas dire que nous les créons. Ils sont là depuis la nuit des temps sans avoir pénétré nos consciences. Une autre façon de mettre en évidence la structure en réseau de la société, c’est de noter que nous nous organisons autour d’états critiques. Nous avons découvert de nombreuses signatures de ce phénomène propres aux réseaux, notamment à nos cerveaux.
  5. Les organisations pyramidales et les organisations en réseau ont des limites. Elles ont des avantages et des désavantages. Elles engendrent l’une et l’autre des maux. Une organisation n’est pas meilleure qu’une autre dans l’absolu.

2. Hypothèses

  1. Les nouveaux problèmes qui se posent à nous tardent à être résolus, voire empirent comme les dérèglements climatiques, non parce qu’ils sont insolubles, mais parce qu’ils sont de nature complexe (ils concernent par exemple souvent la totalité de la biosphère). La méthode cartésienne et les techniques traditionnelles de l’ingénieur ne nous aident pas beaucoup face à ces problèmes.
  2. Les organisations pyramidales sont optimales pour résoudre des problèmes compliqués mais elles sont trop coûteuses pour s’attaquer aux problèmes complexes (les coûts de maintenance de la structure surpassent les économies d’échelle et les coûts de production). Inversement, les réseaux conviennent particulièrement au complexe et se montrent peu adaptés pour le compliqué. On peut bien sûr envisager des organisations hybrides pour s’attaquer aux problèmes intermédiaires.
  3. Les pyramides se contrôlent, les réseaux s’auto-organisent. Le capitalisme apparait comme le système économique adapté aux structures pyramidales. On contrôle les revenus, les échanges, qui gagne, qui perd, qui crée… Le réseau implique la coopération, la co-création, l’open source… Il nous reste sans doute à inventer le système économique ad-hoc.
  4. Il est logique que nous ayons appris à maîtriser en premier les structures pyramidales car les problèmes que nous devions résoudre en priorité étaient compliqués. Maintenant que les problèmes complexes se multiplient, il faut expérimenter d’autres approches.
  5. À la suite de Stephen Jay Gould, j’ai l’impression que l’évolution biologique n’est pas toujours progressive mais procèdent parfois par sauts. La chute des empires et des civilisations m’incite à penser que notre histoire collective elle aussi procède par sauts. Ma propre vie fonctionne comme ça. Je n’oublie jamais que nous pouvons vivre à la veille d’un vaste bouleversement. La rareté d’un tel évènement ne le rend pas pour autant improbable.
  6. Les nouvelles technologies favorisent la mise en réseau, donc la complexification de la société, complexification qui elle même exige à son tour plus de réseau pour être gérée. Ce phénomène de feedback positif entraîne un développement rapide des réseaux. C’est une chance extraordinaire que ce phénomène se produise au moment même où explosent les problèmes complexes. Une fois encore, l’humanité a trouvé le moyen de traverser la crise à laquelle elle est confrontée.

3. Solutions

  1. Il ne s’agit pas pour moi de militer pour un nouveau monde par principe, au nom d’une idéologie, mais parce que notre monde actuel a des problèmes qu’il ne sait manifestement pas résoudre. Il est vital d’identifier les problèmes et rechercher les méthodes les plus aptes à les résoudre : pyramidale, hybride, réseau. Si nous nous entêtons dans le pyramidal, comme semblent le faire la plupart des gouvernements, nous nous planterons. Notre monde complexe a besoin de plus de réseaux, de moins de pyramides. Ça ne veut pas dire qu’on doit renoncer au pyramidal mais simplement reconnaître son domaine d’efficacité.
  2. Internet est la première structure complexe que nous avons construite consciemment et en relativement peu de temps. Nous n’avons pas employé la logique de l’ingénieur mais une logique de nature organique (décentralisation, transparence, ouverture, interopérabilité…). Cette façon de travailler devrait nous donner des idées pour régler les autres problèmes complexes.
  3. Il est intéressant de noter qu’Internet, à ses débuts, a été développé au cœur de structures pyramidales. La pyramide peut engendrer le réseau. Peut-elle se transforme en réseau ? Je pense que c’est plus difficile.
  4. Plus on monte dans les pyramides, plus on a de pouvoir, plus on veut de pouvoir, plus on veut contrôler et on se persuade que par ce contrôle on règlera les problèmes, même les problèmes complexes qu’il faut pourtant adresser autrement. La prétention des hiérarques et leur manque de lucidité quant à leur domaine de compétence peut nous causer de graves problèmes. Nous devons commencer par éduquer les hiérarques à la logique des réseaux, c’est-à-dire questionner nos modes de gouvernance.
  5. Comme un réseau ne se contrôle pas, on ne se sait jamais ce qu’une telle organisation donnera. Il faut donc multiplier les initiatives, faire des expériences, laisser les solutions les plus efficaces se propager par la base. Face à des problèmes complexes, il n’y a jamais a priori de solution universelle et immédiatement généralisable. On me cite souvent l’abolition de la peine de mort par François Mitterrand. Il a pu régler ce problème par le haut car il s’agissait d’un problème compliqué et non complexe (en plus des réseaux avaient préparé le terrain). Dans le même moment, il a été incapable de résoudre le problème du chômage galopant en France, problème complexe.
  6. Aller vers plus de réseau, ne va pas nous placer dans un monde dépourvu de violence mais dans un monde capable de poursuivre sa vie, avec quelques mieux on peut l’espérer. Dans un réseau, il y a des prédateurs, des brigands, des profiteurs… Ils apparaissent déjà, ils sont de plus en plus nombreux. Nous devons inventer de nouvelles manières de vivre ensemble.
  7. Un réseau ne se maintient qu’avec la libre circulation des gens et des informations. Brider l’une ou l’autre revient à renforcer le pouvoir des pyramides au profit des réseaux, donc nous priver d’une chance de résoudre les problèmes complexes qui nous menacent. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Résoudre les problèmes globaux implique de devoir changer certaines habitudes. Il serait par exemple stupide pour protéger les droits d’auteurs d’enrayer la libre circulation de l’information, sa transparence, son ouverture. Il faut plutôt se demander comment faire en sorte que les auteurs puissent continuer à gagner leur vie dans un monde en réseau, un monde dont ils sont depuis toujours les plus grands animateurs.