— Il sonne.

— Non.

— Si, il sonne, je te dis.

— Non.

— C’est moi qui dois me lever, c’est ça ?

— Oui.

Combien de fois se répète cette scène chaque matin ? Ne serions-nous pas plus heureux sans réveils, sans pendules, sans horloges… et en conséquence sans rendez-vous, sans emploi du temps minuté, sans émissions TV programmées.

L’heure nous semble une évidence, mais elle aussi a une histoire. Les premiers sabliers dateraient du iiie siècle avant Jésus-Christ en Alexandrie, époque où la science grecque atteignit son apogée. Les Alexandrins portaient des sabliers comme au xixe les bourgeois portaient la montre à gousset.

Ils aimaient la ponctualité et construisirent de nombreux cadrans solaires qu’ils découpaient sections régulières. Comme tous les Grecs, ils préféraient la géométrie à l’arithmétique. Avec un compas, ils savaient tracer des rosaces, donc diviser un cercle en six parties. Si nous en étions restés là, nous aurions six heures par demi-journée.

Toujours avec un compas, ils savaient aussi tracer une seconde rosace tournée d’un angle droit par rapport à la première. Ils se retrouvèrent avec douze heures par demi-journée. Ils jugèrent que c’était suffisant.

Leurs cadrans solaires ne marchaient que le jour. Les sabliers devaient sans cesse être retournés. Même les esclaves les plus diligents finissaient par perdre patience. Ctésibios, l’ingénieur royal, imagina alors une clepsydre, une horloge à eau qui n’avait pas besoin d’une attention continue.

Dans ce sablier, l’eau remplace le sable. Depuis une fontaine, elle s’écoule dans un réservoir muni d’un trop-plein. Quand le réservoir atteint son niveau maximal, il conserve un volume d’eau constant. Petit détail : le fond du réservoir est percé, un filet d’eau s’en échappe. À débit constant à cause d’un volume constant, il se déverse dans un second réservoir qui lui est gradué. C’est ainsi que les Alexandrins mesuraient le temps avec une grande précision quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.

Sans le savoir, Ctésibios avait non seulement inventé la première horloge, mais aussi le premier ordinateur. Sa clepsydre calculait le temps qui passe. Mais elle n’était pas une calculatrice puisqu’elle ne manipulait pas des nombres. Elle traduisait par un mécanisme hydraulique la danse du soleil autour de la terre. D’une manière très symbolique, elle schématisait l’univers. Elle fonctionnait par analogie à lui. Elle le simulait, tout comme les enfants simulent lorsqu’ils jouent aux gendarmes et aux voleurs.

Et c’est cette capacité de simuler, étrangère aux autres machines, qui caractérisent les ordinateurs. Ils n’ont pas besoin d’être électroniques. Ils peuvent aussi être mécaniques, biologiques, quantiques… Leur support matériel n’a pas d’importance. Ils ne sont même pas nécessairement programmables. Ainsi la clepsydre de Ctésibios ne savait que marquer le temps, mais elle fut bel et bien le premier ordinateur. Pour être précis, on dit qu’elle fut le premier ordinateur analogique.

Ses successeurs numériques et électroniques lui rendent d’ailleurs un hommage appuyé. L’heure s’affiche partout. Sur nos écrans, nos téléphones, nos fours, nos machines à laver, les tableaux de bord de nos voitures… et sur nos montres pour ceux qui en portent encore.

On peut regretter les vieilles horloges à balancier. Mais elles aussi ne ressemblaient-elles pas à nos ordinateurs ? Leurs tictac marquaient l’écoulement du temps. Ils le simulaient. Leurs aiguilles affichaient le résultat de la simulation. Parfois un ressort se bloquait, c’était un bug.