La schizophrénie des éditeurs franchouillards

En avril, mon père m’a amené voir le caveau de mon trisaïeul. Il l’a fait restaurer, car il veut reposer sous ce simple bloc de béton qui sommeille aux pieds de vénérables cyprès. La pierre tombale ne porte aucune inscription. Mon père déteste les galimatias. J’ai alors remarqué que le marbrier avait inscrit, bien visible, son nom et son téléphone en lettres dorées.

Peu après, avec Isabelle, nous sommes partis passer une semaine en Corse. À notre retour, nous avons constaté que quelqu’un nous avait collé sur le pare-brise arrière une étiquette Corsica Ferry. Non contents de payer notre voyage, nous devions gratuitement faire la publicité de la compagnie. Comme les tombes dans le petit cimetière familial, les voitures autour de nous étaient affublées d’un autocollant ridicule.

En esquissant des couvertures pour La tune dans le caniveau, j’ai constaté que les éditeurs français imitaient les marbriers et les employés de Corsica Ferry. Ils collent leurs logos sur tous leurs livres. Nous n’y prêtons plus attention, tant cette pratique nous parait logique.

Pourtant, regardez les livres anglo-saxons. Le plus souvent jamais aucun logo. Le titre et le nom de l’auteur, éventuellement une phrase pour donner envie de lire, se disputent la surface de la page. Tout est fait pour pousser le livre et rien d’autre. Le but est de vendre un livre et non de se vendre.

Les Anglo-saxons savent qu’on ne peut pousser deux messages à la fois. Ils ont choisi le plus important. En France, il faut croire que l’éditeur passe avant l’auteur. Certes ils s’affichent en plus petit, mais toujours à une place de choix. En plus de limiter les possibilités graphiques, ce qui peut-être explique la médiocrité de nos couvertures, cette pratique résume le penchant narcissique de notre industrie du livre. « Nous d’abord. » La rencontre entre un texte et un lecteur n’est pas leur priorité.

Je suis tellement intoxiqué par cette pratique que quand j’ai monté la nouvelle couverture de J’ai eu l’idée, j’y ai collé publie.net. Je crois que nous nous trompons d’objectif. Un texte face à des lecteurs. À chaque texte, recommencer. Croire que la prescription d’une marque marche encore, c’est une erreur dans un monde de plus en plus dominé par le bouche–à-oreille.

Les éditeurs confondent le marketing Business to Business qui les met face à des pros, où leur marque prime, et le marketing B-to Consumer, où c’est le texte et l’auteur qui comptent. J’ai acheté le nouveau Houellebecq parce que c’était lui, non parce qu’il y avait en gros Flammarion sur la couverture. La place de l’éditeur est sur la quatrième de couverture, pas en première ligne.