Sur Twitter, on a vite fait de vous accuser d’avoir des idées toutes faites, sans bien sûr avoir la possibilité d’argumenter. C’est tout le problème du Web d’aujourd’hui.

D’ailleurs, il serait déplacé d’argumenter sur Twitter, ou Facebook, ou un autre réseau social. Le seul endroit où on doit le faire c’est en dehors de ces lieux centralisés. David Larlet choisit de le faire sur son blog, affirmant que l’interaction entre blogs, c’est le véritable Web.

J’ai défendu cette idée durant des années, participé à la création de réseaux de blogueurs, à l’animation de la blogosphère… Mais je constate que tout cela marche moins bien aujourd’hui qu’en 2006 ou 2007 (et tout au moins pas mieux). La faute bien sûr aux réseaux sociaux qui avalent le trafic, la faute aussi au blog, à son format.

Pourquoi est-ce que j’accorde de l’importance au format ?

Parce que la forme impose le fond et réciproquement. Qui doute encore de cette double relation ? Tout est format. Tout est contenu.

Parce que sur un blog les billets se suivent, comme dans un journal intime, ils nous incitent à écrire des histoires/réflexions en épisodes. Pas besoin que les billets soient autonomes, compréhensibles en eux-mêmes. Ils s’adressent à des lecteurs fidèles. Déjà familiers de l’univers de lecture. Ce billet fait suite à un autre.

C’était en tout cas l’usage initial, usage que je défends toujours. Sinon la pensée n’avance pas (comme dans la presse et dans tous les blogs dits professionnels).

Si plutôt que de bloguer, nous diffusions des Epub interactifs, nous écririons autrement, comme on le fait dans les livres. On s’efforcerait de créer des entités intelligibles en elles-mêmes. La forme nous aurait orientés dans une autre direction. Nous aurions peut-être attaché plus d’importance au travail finement ficelé. Le blog nous incite à tout laisser en plan. À esquisser. J’aime cette improvisation, mais je n’oublie pas qu’elle est insuffisante…

Cette dernière remarque peut être mal comprise si on n’a pas beaucoup lu ce blog. Si on ne sait pas que je m’intéresse au blog comme outil de création à la fois littéraire et philosophique. Autant de préambules qui devraient être précisés dans un objet autonome, et que je ne prends plus la peine de souligner ici. Encore une influence de la forme.

Et ceux qui ne se laissent pas influencer par elle ne la pratiquent pas. Nous n’avons pas à les qualifier de blogueurs. Ils sont peut-être des journalistes, pourquoi pas.

Qu’est-ce qui compte dans un blog ?

David Larlet affirme le partage. N’importe quel utilisateur de Twitter ou Facebook répondrait de la même façon. Le partage est en rien spécifique au blog. Même un écrivain veut partager.

Ce qui compte dans un blog dépend du blogueur. Pour moi, c’est l’écriture interactive, l’atelier ouvert, l’expérimentation… Bien sûr, elle passe par le partage, mais pas forcément à grande échelle.

Et c’est quand je n’ai pas l’idée de nouvelles expérimentations, esthétiques ou politiques, que le blog perd de l’intérêt pour moi. D’une certaine manière, quand j’ai écrit J’ai débranché, j’expérimentais encore avec le blog, puisque c’était en partie à cause de lui que je prenais de la distance.

Et puis quand on parle de partage, on oublie d’évoquer sa temporalité. Le blog est idéal pour partager dans l’instant, un peu moins bon dans le temps plus long, et à coup sûr nul pour le long terme (parce que la techno évolue et qu’un blog non entretenu meurt). En tant qu’auteur, je m’intéresse aussi à cette dernière temporalité, d’où une limite évidente du format et d’où la création de Les années blog sous format de livre mis à jour de temps à autres. C’est justement avec le souci de lever une des limitations du blog (plus toutes celles liées à la vulnérabilité).

La forme chronologique est une autre limite (dont certains s’affranchissent avec des navigations cartographiques). Quand j’ai écrit La quatrième théorie sur Twitter, j’ai abouti à une écriture nouvelle pour moi. Je ne vais pas écrire d’autres livres de cette manière. De même, la forme blog à un moment donné cesse, à mon sens, de nourrir le blogueur. Elle ne le pousse plus en avant, à moins qu’il n’ait cessé de se remettre en cause. J’arrive à cette conclusion après avoir publié sur ce blog plusieurs millions de signes. L’équivalent de plusieurs tomes de Pléiade.

C’est parce que j’ai envie d’aller au-delà du blog que je m’interroge. J’ai identifié des limitations, je cherche à les dépasser, à réinventer une écriture numérique dans un autre cadre.

Quand je parle d’Epub, ce n’est pas de l’Epub 3.0 d’aujourd’hui (d’ailleurs déjà indexable, googlable…). C’est de ce qu’il pourrait devenir et de ce que ça impliquerait pour nous autres auteurs. Hier, j’ai discuté avec des développeurs intéressés par ces idées. Les choses évolueront, si nous en avons envie. Pour le moment, il est dommage que la plupart des blogueurs se découragent après quelques années. La fécondité à long terme n’est pas encore là.