Je ne suis jamais monté au créneau pour défendre la neutralité du Net parce que j’estime que le Net n’a jamais été neutre et ne le sera jamais.

La neutralité du Net est un principe fondateur d’Internet qui garantit que les opérateurs télécoms ne discriminent pas les communications de leurs utilisateurs, mais demeurent de simples transmetteurs d’information, explique La Quadrature du Net. Ce principe permet à tous les utilisateurs, quelles que soient leurs ressources, d’accéder au même réseau dans son entier.

Que je sache tel n’a jamais été la préoccupation des créateurs du Net. Donc, ce principe n’est pas fondateur. Je comprends qu’on puisse vouloir un tel principe, je le trouve juste, mais c’est une justice théorique. Il faudrait que nous ayons non seulement le même accès, aussi les mêmes ordinateurs, la même maîtrise des outils. Que quand nous publions nos contenus, nous disposions de la même bande passante pour nos serveurs. Ça n’a jamais été le cas et ça ne le sera jamais. Il ne peut exister de neutralité en soi, sinon que comme un idéal, auquel veiller le plus possible. Comme dans bien d’autres domaines, nous ne pouvons que nous opposer aux mesures discriminantes.

D’autre part, pour défendre cet idéal, il faut exercer une pression sur les gouvernements, contrer les opérateurs rapaces. Il faut s’attaquer aux hautes sphères de la société hiérarchisée. Cette approche lobbyiste est antinomique avec la structure du Net, avec ce qui est, à mon sens, son véritable principe fondateur, le bottom-up, la décentralisation, le foisonnement organique. Défendre un Net idéal par le haut c’est nier le Net lui-même. Le Net ne peut être défendu que par les faits et gestes de ses atomes les plus élémentaires, nous-mêmes, sans recourir à aucune superpuissance.

Plutôt que nous battre contre un idéal chimérique, nous devons agir où nous le pouvons, loin du champ des politiques qui donnent reconnaissance et gloire. Ils représentent le temps d’avant. Chaque fois que nous les prions ou croyons les contrer, nous battons en retraite sur le chemin de l’Histoire. Si une zone d’accès au Net n’est plus neutre, nous devons pouvoir en changer. La mobilité est notre arme. Nous devons la préserver.

  1. Mes données m’appartiennent. Je peux les récupérer, les transférer.
  2. Pour que je puisse transférer mes données, les services qui les gèrent doivent être transférables également.
  3. Les liens doivent rester vivants même en cas de transfert. Nous devons donc être propriétaires inaliénables de nos URL.

Exemple 1. Mon blog.

Géré par WordPress, je le sauvegarde régulièrement. Je peux le réinstaller sur un nouveau serveur. Quand je change le routage du domaine, tous les liens qui pointent vers chez moi restent valides. Je n’ai rien à demander à personne, ni à engager de dépenses. Mobilité maximale (avec un bémol, mon domaine ne m’appartient pas, le le loue, ce qui est un problème potentiel).

Exemple 2. Mon mail.

Comme je possède un domaine, je reste toujours accessible, quel que soit l’hébergeur de mon serveur mail. J’utilise Google. Demain je peux changer d’opérateur, mais je suis peu vigilant dans mes sauvegardes. Mobilité maximale seulement en théorie.

Exemple 3. Mon compte Facebook.

Tous mes posts et contacts appartiennent à Facebook. Je pourrais bien les télécharger, sauver mes conversations, mais je ne pourrais pas les réinjecter sur un nouveau réseau social, les liens seraient cassés. Mobilité nulle.

Alors Facebook devient puissant parce qu’il m’enferme, me tient et tient mes amis, nous sommes prisonniers et sous emprise. Quand nous ne pouvons déplacer nos données, nous créons des espèces de trous noirs numériques, nous engendrons des nœuds de centralisation sur le Net. Ils engrangent de plus en plus de bénéfices, donc sont capables avec leur puissance croissante de casser la neutralité du Net sans que personne ne leur résiste. Ils transforment le web en pyramide.

Si demain je pouvais quitter Facebook sans rien perdre de ma vie numérique, Facebook ne serait plus rien. Et soudain le Net deviendrait beaucoup plus neutre. Il ne peut exister de neutralité sans une décentralisation massive.

Quand toutes les données deviennent mobiles, les trous noirs numériques n’ont qu’une existence temporaire. Ils sont sous la menace d’un mouvement de foule. Il devient facile de s’opposer à leur puissance provisoire et d’exiger d’eux la neutralité maximale, parce que leur survie ne dépend que de nous.

Notre comportement grégaire met en danger la neutralité en créant des centres de puissance. Nous sommes la cause du mal. Nous devons apprendre à balayer devant notre porte.