Chaque génération cherche un moyen d’accélérer l’écriture, de la libérer, de lui offrir des territoires vierges. Pour la Beat génération, c’était benzédrine, amphétamine, LSD… toute une collection de neuro-stimulateurs, plus tard remplacés ou vitaminés par les stridences des guitares électriques et le souffle des batteries. On sortait des concerts littéralement échevelés. On écrivait avec le son à tue-tête. Arrive le Send, cette stimulation sociale, cette présence immédiate du lecteur, augmentation des capacités cognitives par l’apport des commentaires, mise en devoir de répondre par de nouvelles passes d’armes littéraires.

Alors un lien apparaît, un fil rouge qui unit les adeptes du Send. Ils aiment les auteurs Beat comme Kerouac. Ils ont lu la SF, celle de Philip K Dick, mais aussi d’Helen, Herbert, Van Vogt. Ils ont le rock dans la peau, de Dylan aux Clash. Ils vivent sur un rythme martelé, ou tout au moins le rêvent-t-ils, et ils l’écrivent, pas toujours mais quand ils s’y abandonnent ils sont heureux.

Rien ne les empêche tout en jouant avec ces « substances » de pratiquer par ailleurs une écriture plus sobre, moins attachée à un tempo effréné. Le passage de l’une à l’autre est peut-être même indispensable pour entretenir un semblant de santé mentale.

Le travail patient dans le temps long, le souci attaché à chaque mot, à chaque tournure, devient jaillissement quand il s’abandonne au Send, dans un afflux de style non réflexif, mais qui bénéficie d’un immense travail préparatoire.

On croit toujours que Kerouac a écrit Sur la route en trois semaines insomnieuses. La préface à l’édition du tapuscrit original est explicite : depuis plusieurs années Kerouac prenait des notes, écrivait des parties de son histoire, recommençait, se critiquait… Cette longue préparation s’est soudain cristallisée quand le « je » s’est imposé comme forme narrative. Les mots ont alors brisé un barrage intérieur et dévalé sans s’interrompre.

Je bosse sur mon Ératosthène depuis 13 ans sans que cela ne m’empêche de pratiquer le Send. Je ne vois pas d’opposition, pas plus que d’opposition entre Net et papier. Le Send est une forme, peut-être celle qui correspond le plus étroitement à nos vies en ce début XXIe siècle.