Dans une équipe de foot, on a onze joueurs avec des aptitudes différentes. Onze attaquants, ça ne marche pas mieux que onze défenseurs. La diversité est nécessaire pour l’emporter. Alors même que l’objectif est simple : marquer des buts.

Dans la société, face à des objectifs innombrables et bien plus complexes, la diversité est d’autant plus indispensable. Comme dans une équipe de foot, moins les joueurs se ressemblent, plus ils ont de chances de se compléter et de réussir des exploits. En conséquence, la politique devrait toujours favoriser la diversité sociale, surtout quand la complexité grimpe tous azimuts.

Ainsi, il ne me viendrait jamais à l’esprit d’être contre l’immigration (ce n’est même pas un choix moral). Une étude dont j’ai oublié la référence a d’ailleurs montré qu’aux États-Unis le nombre de brevets déposés diminuait quand la politique migratoire se durcissait.

La diversité peut s’évaluer objectivement en traçant des power law. Par exemple, on représente en ordonnée le nombre de fois où les mots d’un texte sont utilisés, en abscisse le classement des mots (en premier le plus usité et ainsi de suite). Sur une échelle logarithmique, on obtient une droite. En fonction de sa pente, il devient possible de comparer le style des écrivains et d’évaluer la richesse de leur vocabulaire (plus la pente est faible plus l’usage des mots est divers).

Usage des mots dans tous les livres anglais du projet Gutenberg
Usage des mots dans tous les livres anglais du projet Gutenberg

Cette technique est utilisable dans tous les domaines. On peut classer les médias par leur audience. Les best-sellers. Le nombre de candidats aux élections. L’évolution de la power law nous apprend si la société s’oriente vers plus ou moins de diversité.

Quand je constate qu’apparemment internet ne participe pas à la diversification, je ne fais ni preuve de pessimisme, j’observe, ni d’élitisme, j’observe (et si je me trompe dans mes observations, je serai le premier à m’en réjouir). Les metrics montrent simplement un déficit global, provisoire, j’espère. Nous ne semblons pas nous diriger vers plus de diversité, mais vers moins de diversité. Je ne peux pas prétendre le contraire ou continuer à m’illusionner comme je l’ai fait par le passé.

La diversité est nécessaire dans un monde complexe. C’est le chemin vers un surplus d’intelligence collective et de bonheur individuel. Il ne s’agit pas de croiser toutes les propositions issue de la diversité pour faire émerger un consensus, mais bien de faire cohabiter des multitudes d’expériences, chacune représentant autant d’idées à mettre en concurrence dans une soupe évolutive sociale.

Quelle que soit la tendance globale actuelle, chacun de nous peut toujours cultiver son individuation et beaucoup le font. Pas d’autres choix pour nous que d’avancer sur notre route tout en incitant les gens autour de nous à suivre la leur.

Contrairement aux rêves des utopistes et à la propagande incessante des startupers, internet à lui seul ne suffit pas à mettre en marche l’humanité. Il n’existe aucun effet mécanique positif. Seul un travail sur soi a ce pouvoir, mais il faut bien admettre que l’environnement social peut favoriser cet élan. Facebook, par exemple, me paraît plus abrutissant qu’autre chose quand on l’utilise sans modération. Et les créateurs de ces services ont tout à gagner du manque de diversité (sinon nous nous partagerions entre des millions de sites plutôt que nous précipiter comme des mouches sur quelques points trop sucrés).

En passant aux mains des entreprises, le Net a tourné le dos à sa diversification congénitale. On traque désormais les comportements d’ensemble à l’aide d’algorithmes pour nous transformer en moutons. Les sites testent en continu des variations d’eux-mêmes jusqu’à trouver les plus addictives. Nous sommes devenus des clients. Plus nous nous ressemblons, plus nous sommes de bonnes poires.

De même, les hommes politiques des grands partis s’opposent également à la diversité. Ils n’ont rien à gagner d’une dispersion des voix et d’une grande incertitude lors des scrutins. D’où leur manque d’empressement à développer l’éducation populaire et la culture. Et je pourrais dire de même des journalistes, des éditeurs, de tous les acteurs de la culture marchande.

Tel est notre monde en crise. Nous nous crispons alors que nous devrions nous détendre. Comment inverser les choses ? Déjà, en prenant conscience. Je ne fais que partager une petite lumière qui s’éveille en moi. À partir d’un constat lucide, nous pouvons nous mettre au travail et bâtir une économie de paix pérenne.