Lors d’un échange par mail, un éditeur m’a déclaré : « Je ne savais pas qu’il fallait donner des à-valoir pour être reconnu comme un éditeur. On est en 2017, pas dans les années 90. […] À-valoir, numérique, pure-player… c’est pas cela qui me préoccupe aujourd’hui et c’est dépassé, je pense. »

Voilà bien un propos d’éditeur, pas loin d’être méprisant pour les auteurs.

Pour commencer, je pense que se revendiquer éditeur numérique a toujours du sens, et ne cessera d’en avoir davantage, à moins de considérer que le numérique ne change rien à l’écriture, et comme c’est le contraire qui se produit, un éditeur tourné vers la modernité doit lui aussi s’engager dans le monde numérique, d’autant plus que le numérique déborde sur le papier avec le Print on Demand.

La question du numérique et de sa place dans l’édition est donc loin d’être dépassée, nous n’en sommes qu’aux premiers frémissements d’une histoire. Ce n’est pas parce que le grand public n’a pas embrassé la lecture d’ebook que la lecture numérique est en panne. La littérature numérique comme la lecture numérique se jouent sur le Web, sur des apps, elle a débordé le monde de l’édition, et c’est peut-être le modèle d’édition que pratiquent les éditeurs numériques qui est dépassé, pas le numérique.

Mais si je réagis publiquement à cet échange de mail, c’est parce que cet éditeur trouve ringards les à-valoir, c’est-à-dire des avances sur droits versés aux auteurs lors de la signature des contrats d’édition. Si cet éditeur était le seul à penser ainsi, sa remarque serait anecdotique. Malheureusement, il est de plus en plus courant que les auteurs signent des contrats d’édition sans toucher le moindre centime.

Payer les auteurs serait donc dépassé ?

Pourquoi les éditeurs versent-ils des à-valoir ?

  1. Pour récompenser le travail déjà effectué par l’auteur.
  2. Pour préempter l’œuvre et que l’auteur n’aille pas voir un autre éditeur qui lui donnerait un meilleur à-valoir.
  3. Pour démontrer son engagement. Plus l’à-valoir est élevé, plus l’éditeur a confiance dans l’œuvre, plus il espère la vendre et la faire fructifier.
  4. Pour montrer son sérieux. L’éditeur prouve qu’il a des ressources, qu’il peut payer l’auteur, mais aussi les correcteurs, les graphistes, les commerciaux, les attachés de presse…
  5. Pour acquérir l’œuvre sur plusieurs décennies, que le livre marche ou ne marche pas. Un à-valoir est un investissement.
  6. Pour anticiper les gains ultérieurs et faire en sorte que l’auteur touche tout de suite ce qu’il touchera de toute façon (mais des mois plus tard).
  7. Pour que l’auteur ait les moyens de travailler à son œuvre suivante.
  8. Pour rassurer l’auteur et lui démontrer que son livre sera bel et bien publié en temps et en heure.
  9. Pour affirmer que l’édition est une économie comme une autre, où le distributeur paye les producteurs avant même de vendre leur production.
  10. Pour s’attacher l’auteur et nouer avec lui une relation de confiance.

Si les à-valoir sont dépassés, c’est que tous ces points sont également balayés.

Pourquoi ferais-je confiance à un éditeur qui n’est pas capable de me faire un chèque de quelques milliers d’euros ? Est-ce qu’il ne croit pas en moi ? Sait-il déjà qu’il ne va rien gagner avec mon texte ? Mais alors pourquoi me signe-t-il ? Pour s’accaparer mes droits ? Peut-être dans l’espoir que plus tard j’aurai du succès et qu’il fera alors fructifier mes œuvres récupérées pour pas un sou.

Comment puis-je croire qu’il travaillera mon texte, tant au niveau éditorial que commercial ? S’il n’est pas capable de me donner un à-valoir, c’est qu’il n’a pas de trésorerie, c’est que son business ne marche pas (et que le travail qu’il fait d’habitude n’a aucun impact sur le plan commercial). À quoi bon alors sortir un livre avec lui ? Cela ne servira à rien. Je ne vendrais rien de plus que si je me publiais moi-même.

J’ai fini par en arriver à cette conclusion. En l’absence d’à-valoir, je me diffuse moi-même, parce que le numérique à rendu cette partie du travail éditorial extrêmement simple (elle n’est plus le privilège des éditeurs, c’est ça qui a changé depuis les années 1990).

Et donc, ce n’est pas les à-valoir qui sont ringards aujourd’hui, mais les éditeurs qui n’en donnent pas et s’accaparent néanmoins nos droits.

J’ai désormais un petit algorithme : si à-valoir, je passe par un éditeur ; si pas à-valoir, je m’auto-publie.

Cette règle n’est pas sacro-sainte, mais je crois que les auteurs devraient l’intégrer, quitte à lui faire exceptionnellement des entorses. Les éditeurs vous déballeront de belles histoires pour vous dire qu’ils ne peuvent pas verser d’à-valoir, libre à vous de les croire. Ils tenteront de vous persuader qu’en vous publiant ils vous font déjà un tel honneur qu’ils n’ont pas en prime besoin de s’abaisser à vous signer un chèque.

Cette rhétorique fonctionne. Je connais beaucoup d’auteurs qui tombent dans le panneau, et qui se retrouvent réduits, une fois publiés, à jouer les VRP pour leur maison d’édition, vendant leur livre sur les marchés, et chaque fois faisant gagner à leur éditeur plus d’argent qu’ils n’en gagnent eux-mêmes. Parce que voici la réalité de cette édition à moindre coût. L’auteur bosse, l’éditeur encaisse, peu à chaque auteur, mais en multipliant les titres auxquels il ne consacre guère de travail éditorial il multiplie les petits revenus.

Se faire éditer sans à-avoir, finalement, n’est guère différent de s’auto-publier. Il faut trimer tout autant pour gagner moins.

Quel lien avec l’édition numérique ? C’est tout simplement que l’édition numérique marche si mal que les éditeurs pure-player ne versent quasiment jamais d’à-valoir, ou des à-valoir qui ne sont même pas symboliques.

Alors je crois que les appeler éditeurs est très abusif puisqu’ils ne respectent pas leurs auteurs. Pourquoi payeraient-ils ce qu’ils peuvent avoir gratuitement ? C’est le b.a.-ba du capitalisme cognitif.