J’ai beaucoup ri en lisant le début de Ragdoll, un roman pourtant censé être plus noir que noir. Je vous ai déjà parlé de ce thriller dont Trapeze, l’éditeur anglais, a fait la promotion durant plus d’un an avant sa publication, annonçant partout, haut et fort, qu’il tenait le prochain Da Vinci Code, si bien que les éditeurs internationaux, Robert Laffont compris, ont fait de gros chèques pour s’arracher ce premier roman de Daniel Cole.

Dès le jour de sa sortie officielle, je me suis empressé de dénicher un exemplaire. Après l’avalanche de superlatifs, les commentaires dithyrambiques de centaines de bêta lecteurs, je m’attendais à tout, sauf à tomber sur un vulgaire polar d’une structure banalement ordinaire.

Introduction ennuyeuse dans un tribunal avec le héros qui pète un plomb en voyant un serial killer innocenté. Premier chapitre où on retrouve le héros qui vient d’aménager dans un nouvel appart pourri. On l’appelle. Un crime. Il va sur les lieux. Trouve un pantin dont le cadavre est constitué de six parties de corps appartenant à des personnes différentes. D’où le slogan : un corps, six victimes. Pour piquer notre curiosité : la tête est celle du serial killer du tribunal.

Bon, c’est amusant, mais guère intrigant. On a compris que le but du héros sera de retrouver le malade ou la malade responsable de cette mise en scène macabre. Je sais déjà que si je vais au bout de ce livre, je n’apprendrai rien, je ne voyagerai pas beaucoup dans ma tête et que je perdrai mon temps, car les psychopathes intelligents ça n’est pas très crédible.

Mais alors pourquoi j’ai tant ri ? Il faut se remettre dans le contexte. Ragdoll doit être un choc, une révélation, le livre qu’on ne lâche plus, qu’on recommande à tout le monde, que son éditeur a bichonné pour nous faire fusionner les neurones. L’attente est énorme.

Alors quand, après quelques pages, je tombe sur cette phrase : « The tiny bedroom consisted of four walls », je me plie en deux. Oui, le héros dort dans une chambre minuscule avec quatre murs. Quelle originalité, quelle trouvaille extraordinaire. Non, pas une chambre triangulaire avec trois murs, ou pentagonale avec cinq murs, non, une vulgaire chambre avec quatre murs, chose qu’il paraît fondamental de préciser, comme si ailleurs dans le roman on naviguait dans une réalité à la géométrie exotique.

Désormais, il faut tout décrire jusqu’à préciser que les pièces carrées ont quatre murs, et pourquoi pas un plafond et un plancher. Voici donc le genre de livre que Trapeze a porté aux nues, au point d’ensorceler la profession. À voir si les lecteurs tomberont dans le piège ? Depuis la sortie de Ragdoll, le fil Twitter de Trapeze est d’ailleurs assez calme. Pas d’annonce de rupture de stock.

Attention : Ragdoll se lit très bien, c’est un bon roman de plage, j’imagine, avec les ingrédients d’un best-seller, mais ça sera aux lecteurs de décider du sort de ce livre, et j’ai comme l’impression que Trapeze a tenté d’inverser la mécanique, en passant en force.

Moi, perso, je n’y crois pas. En général, j’y crois rarement à ces histoires de serial killer. Je n’arrive pas à flipper. Et dire que mon Résistants, c’est une aussi une histoire de serial killer, mais, le mien, ce n’est pas trop sa faute. Bon, je n’en dis pas plus. C’est tentant d’imiter Trapeze, de la surjouer, tout cela pour faire exploser de rire les lecteurs alors que le but est de les faire trembler.

Nous autres auteurs, on peut tous se planter, s’oublier, on enfonce souvent les portes ouvertes… Je croise les doigts, j’espère que même si j’ai voulu faire de Résistants un livre avec le goût des best-sellers, je ne me suis pas mis moi-même en boîte, et j’espère surtout que Bragelonne, mon éditeur, ne me fera pas un croc en jambe comme Trapeze vient de le faire à Daniel Cole, en disant de son livre ce qu’il n’était pas.

Mais peut-être que les lecteurs aiment qu’on leur précise que les pièces carrées ont quatre murs. Ça, ce serait une info !