« Le soir du 5 mai 2002, je ne sais plus où j’étais, en tout cas pas devant une télévision. Je me moquais du succès de Jacques Chirac, qui venait d’emporter les élections présidentielles françaises avec 82 % des suffrages, un record dans les pays occidentaux. Pour moi, cet évènement était anecdotique, presque risible, tout comme avait été risible l’échec au premier tour du socialiste Lionel Jospin. »

Voici comment, en 2005, je débute le premier chapitre du Peuple des connecteurs. Et voici la suite, je pourrais redire la même chose mot pour mot en 2017, preuve que politiquement nous faisons dur sur place. Extraits…


Depuis longtemps, je pressentais les limites de la démocratie représentative. Il m’avait suffi d’écouter le discours d’un candidat puis de le réécouter dix ans plus tard pour mesurer combien les promesses électorales s’apparentaient à des fables peu crédibles. Plutôt que de faire confiance à une quelconque instance politique, j’essayais de me débrouiller par moi-même. Pour commencer, je ne voulais pas d’un grand manitou au-dessus de moi, même pas d’un président élu au suffrage universel, après une période de débauche médiatique, version moderne des fastes impériaux.

« Mais que se passait-il à la télévision le 5 mai 2002 à vingt heures ? Quelques minutes après l’annonce de son succès, le Président monta sur le podium de son QG de campagne, rue du Faubourg-Saint-Denis. Sans joie excessive, il s’adressa aux Français :

— […] Nous venons de vivre un temps de grave inquiétude pour la nation. […] J’ai entendu et j’ai compris votre appel pour que la République vive, pour que la nation se rassemble, pour que la politique change. […] Votre choix aujourd’hui est un choix fondateur, un choix qui renouvelle notre pacte républicain, ce choix m’oblige comme il oblige chaque responsable de notre pays. […] La confiance que vous venez de me témoigner, je vais y répondre en m’engageant dans l’action avec détermination. […] Je veux que les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité reprennent toute leur place. […] Chacune et chacun d’entre vous, conscient de ses responsabilités, par un choix de liberté, a contribué, ce soir, à forger le destin de la France. Il y a là un espoir qui ne demande qu’à grandir, un espoir que je veux servir.

Le Président avait raison d’être grave. Malgré son succès écrasant, ses électeurs n’avaient pas voté pour lui, mais contre Jean-Marie Le Pen, son adversaire d’extrême droite. Nous n’avions pas plébiscité un candidat, mais éliminé celui qui nous paraissait le plus dangereux. Nous avions voté contre sans aucune ambiguïté. De nombreux analystes dirent que c’était un vote « faute de mieux ». Ils se trompaient : les connecteurs ne peuvent que voter contre, quels que soient les candidats en lice.

[…]

Les connecteurs ont pris conscience que les gouvernements étaient les vestiges d’une époque révolue. Nous ne votons que pour écarter les autocrates du pouvoir, nous ne pouvons que voter contre eux, en attendant l’instauration de régimes politiques plus démocratiques, qui favoriseront l’auto-organisation et, en cela, pousseront les élus à renoncer à leur propre pouvoir.