Dimanche 4, Balaruc

Retour de deux jours à vélo en Lozère.

Lundi 5, Balaruc

Sète
Sète

Mardi 6, Balaruc

Je suis si concentré sur One Minute qu’aucune autre pensée ne me traverse. Ce journal se dessèche. Parfois je me demande si je ne devrais pas y intégrer mes voyages à vélo, qui ne sont que son extension. Faire comme je l’ai fait il y a déjà six ans avec le blog, éviter de publier des articles, écrire d’un côté des textes longs, de l’autre le journal. Mais je vois une vertu dans l’article, il pousse à une sorte de finalité, de complétude en soi, qui dans le carnet n’est pas nécessaire puisqu’il ne s’agit que d’un flot de la naissance à la mort, et qui n’a ni besoin d’introduction ni de conclusion.

Ciel d’orage
Ciel d’orage

Mercredi 7, Montpellier

Jardin des plantes, Montpellier
Jardin des plantes, Montpellier

Jeudi 8, Sète

Pointe Courte
Pointe Courte

Vendredi 9, Saint-Guilhem-le-Désert

Saint-Guilhem-le-Désert
Saint-Guilhem-le-Désert

Samedi 10, Balaruc

Reprise du travail après trois jours à jouer les touristes autour de chez moi avec les amis. Tout lâcher, alléger la vie, rajeunir avec les jeunes, toucher du doigt la frivolité bienfaitrice.

La maison par Patrick en hélico
La maison par Patrick en hélico

Dimanche 11, Balaruc

Parfois ma vie est si tournée vers l’intime que la raconter publiquement m’est impossible. La légèreté de l’été, moments de silence sous les ombres épaisses des platanes, virées en pédalo, baignade dans les gorges de l’Hérault, instants d’éternité qui parfois me terrifient, quand leur beauté passagère s’impose. Grandes rigolades. La simplicité. Et le travail qui reprend aussitôt, avec quelque pauses pour tester l’aile de wing foil que nous venons d’acheter.

Mercredi 14, Balaruc

Je boucle aujourd’hui One Minute, avec comme toujours la sensation désagréable d’en avoir trop et pas assez fait. Je me suis amusé, j’ai laissé partir mon imagination, tout en sachant que peu de lecteurs entreront dans ce jeu. Le plus désagréable : la sensation que ce texte n’aura aucune pérennité, que c’est un exercice de style sans porté. Si au moins, il pouvait provoquer quelques frémissements d’hyperconsciences. Je l’ai écrit comme une machine à créer des interconnexions éblouissantes dans le cerveau du lecteur.

Jeudi 15, Balaruc

Les antivax me rendent dingue. Au nom de leur liberté, ils revendiquent le droit de tomber malade, et d’occuper des lits d’hôpitaux qui pourraient être réservés à d’autres. Ils oublient que nous vivons en société, en interdépendance, que parfois des choix collectifs s’imposent pour que nos libertés élémentaires, le droit à la santé, soient préservées. Leur opposition au pouvoir en place brouille leur jugement.

La semaine dernière, j’ai même eu le bref désir d’écrire un brûlot contre eux, Didier était partant, puis je me suis calmé, j’ai mieux à faire que m’occuper d’obscurantistes qui sont contre les vaccins, mais boivent leur apéro tous les soirs.

Après, l’injonction de se faire vacciner me pose un problème, j’en conviens, mais arrive parfois un moment où l’éducation ne fonctionne plus. Cette histoire de vaccin, c’est comme le réchauffement climatique, soit on s’y colle tous, soit ça ne sert pas à grand-chose. Je pense même que la plupart des antivax sont plus que conscients du réchauffement climatique. Un temps, ils sont pour l’action collective, un temps, contre. Difficile à suivre.


Demain départ pour Paris, avec le vélo, puis TER jusqu’à Avallon, pour une descente du Morvan et du Massif central. Je n’ai guère préparé l’itinéraire, rien anticipé, je ne sais même pas si j’ai envie de pédaler. Nous suivrons une trace balisée, en espérant qu’elle ne soit pas trop monotone.


L’époque est étrange, ou je la traverse en étranger. Je vois Didier, les mains dans le cambouis à longueur de journée, et moi qui flotte, à tenter de faire de la littérature avec des riens. J’éprouve parfois un sentiment de vacuité affligeant, comme si toute cette énergie que je dépense sur mes textes était dilapidée pour rien. J’éprouve rarement ce sentiment quand je travaille, parce que le plaisir m’emporte, mais quand un projet se referme je me demande toujours à quoi bon. Si j’anticipais des ventes mirobolantes, je pourrais y trouver un contentement pécuniaire, mais le succès me déserte depuis si longtemps que je ne l’attends plus. J’ai juste atteint l’âge où j’ai le privilège de publier chez des éditeurs, comme s’ils me reconnaissaient plus de talent que les lecteurs.

Vendredi 16, Balaruc

Je n’ai pas posté de photos sur Instagram depuis des semaines. Je ne vais plus sur Twitter, de moins en moins sur Facebook, n’y gardant qu’une petite activité vélo. J’y vois les gens tenter d’exister. Un jour, ils feront comme moi et s’éloigneront de ce café trop bruyant. À moi aussi d’être cohérent. Je n’aime pas la foule et j’ai passé des années dans des lieux numériques bondés. La discrétion du blog me convient. Ne plus lire les commentaires qui sont postés en dehors. Peut-être, ajouter un PS en pied de chacun de mes articles pour expliquer pourquoi je veux recentrer ma présence en ligne chez moi, c’est-à-dire sur mon blog et dans mes livres.

Sur Facebook, les cyclistes publient les photos de leurs sorties et de leurs voyages pour dire, regardez je l’ai fait. De mon côté, je tente de raconter, de relever la dimension épique du voyage, de le transformer en expérience esthétique, faire du récit lui-même le but du voyage. Nous habitons des systèmes stellaires distants.

Samedi 24, Balaruc

Je rentre de mon périple à travers le Massif central, des images plein la tête et aussi très mal au cul.

Mercredi 28, Balaruc

Après One Minute, que je devrais encore relire une fois en août, je termine Le Geste 2, gros travail : je gère tout, puisqu’il s’agit d’une auto-édition en open source, en français et anglais, avec des corrections qui d’une langue à l’autre s’influencent. Période de bouclage guère propice à la rêverie, ni à penser aux textes qui pourraient venir après. Je suis sans projet.

Vendredi 30, Balaruc

Chateaubriand a mené une vie incroyable : une enfance bourgeoise, les voyages, l’exil, la pauvreté, puis la gloire. Mais il réussit à la rendre incroyable dès son enfance, peut-être la partie la plus belle de tout le texte, ce qui démontre que toute vie peut être rendue incroyable par une narration ad hoc.

Samedi 31, Balaruc

Terminer des projets me laisse toujours dans un état désagréable. J’ai l’impression d’avoir labouré puis planté des champs stériles. Un sentiment d’inutilité désespérant.

Les réseaux sociaux, malgré ma prise de distance, restent vénéneux. J’ai réussi à y créer une ligue d’adversaires acharnés, qui me tombent dessus dès que j’écris un article, peut-être parce que je dérange leur conformisme, peut-être parce que je pense, parce que j’essaie d’inventer une façon de faire du vélo qui diffère de la leur.

Comme je pense tout haut, ils croient que je veux leur imposer ma pensée, alors que je ne fais que décrire mon cheminement, parfois il est vrai en opposition au leur, mais sans intension de les faire changer d’avis. Je partage ma vision du vélo, du monde, de l’art. Et j’abuse de la première personne pour me tenir à l’écart de toute tentative de généralisation.

Mais certains, face à une pensée qui se donne à voir, la prennent pour une injonction, sans doute parce qu’ils ont perdu l’habitude de se confronter à longueur de journée à d’autres pensées, dont la présence posent problème comme si elle les arrachait avec douleur à leur propre intériorité toute-puissante.

Face à une pensée, je réponds par des pensées, j’argumente, je discute, je ferraille, je me questionne aussi, je creuse, je cherche, j’apprends. Quand j’écris sur l’art narratif de la trace, je propose une vision, potentiellement féconde. On peut ne pas être d’accord, mais personne ne questionne ce point, mes adversaires s’en prennent à moi comme ils s’en prenaient à Rousseau. Je ne vais pas devenir parano comme lui, mais mon envie de fuir est aussi grande que la sienne, fuir la nuisance humaine.

C’est paradoxal. J’écris pour partager, et si heureusement le partage est fructueux avec quelques-uns, d’autres viennent gâcher le projet. Ils m’accusent par exemple d’un désir de reconnaissance. Comment leur dire que je ne cherche aucune reconnaissance dans le vélo. Je ne vais pas tenter de briller dans ce sport à 58 ans. Le bikepacking me procure tant de plaisirs que je n’ai qu’une envie : maximiser ce plaisir, d’où mes interrogations, parfois théoriques, parce que telle est mon inclinaison.

Je me suis habitué à la reconnaissance de quelques-uns. Elle me suffit du moment que tout commence par la reconnaissance de moi-même vis-à-vis de mon travail. Quand je termine une séance d’écriture heureux, je n’attends pas plus de bravos, aucun ne rivaliseront avec ceux en mon cœur, qui font que je continue de labourer des champs, et qu’importe qu’ils soient stériles. J’ai toujours l’espoir qu’une graine pousse quelque part.

Mais en fin de projet, quand le laboureur est fatigué, il lui est difficile de penser au champ suivant. Je ne le vois même pas. J’ai l’impression qu’il n’existe pas, que je suis arrivé au bout d’un chemin sans issue.

Isa me reproche d’avoir renoncé à tout engagement politique. Elle exagère. Je me bats depuis des années pour l’hygiène des mains, je continue de militer dans mes textes pour les biens communs. Le Geste 2 fait avancer ma pensée d’un pas dans ce domaine. Avec mes histoires de traces, je m’occupe de l’irrigation du territoire, de sa mise en commun, de son ouverture. Il me paraît important que nous aimions le territoire pour avoir envie de le protéger et protéger la planète dans son ensemble. Cette forme de jardinage est éminemment politique, elle s’intéresse aux racines, à l’infraécologique.

Je m’engage par l’exemple. Je trace, je voyage à vélo, je respire à plein poumon la nature. J’évite le mode compétition, les défis, les manifestations surorganisées, je tente de vivre en accord avec mes valeurs. Il me semble que je dois continuer à écrire mes expériences et mes pensées, parce qu’elles ont un caractère politique. Je pédale autant pour mon édification que pour écrire, et donc partager, peut-être un chemin de croix, mais il s’agit de celui de l’humanité.

En traversant la France, je me suis heurté à la souffrance, à des vies normées, attachées à des horaires et non au plaisir de faire. J’ai rencontré trop de gens désillusionnés par leur position dans la société et incapables de se laisser déborder par la passion. Expérience douloureuse de sentir d’autres humains dans la souffrance là où je ne l’attendais pas. Impression d’une France fonctionnant sur sa lancée, avec perte de sens. Quand on ne travaille plus que pour gagner sa vie, on est en train de se perdre.

Voilà peut-être pourquoi il y a autant de haine sur Facebook et autant de narcissisme, aussi peu de discussions posées, les gens ne sont pas heureux dans leur ensemble, et ils viennent en ligne chercher une illusion d’existence. Ils viennent surtout y perdre du temps et y mettre leur cerveau au service d’une machine démoniaque. Encore une fois, je ne me retire pas de cet univers, mais je vire l’icône Facebook de la page d’accueil de mon téléphone, ainsi que de la barre raccourcie de mon navigateur. En me compliquant l’accès au service, je vais tenter de le visiter moins souvent, pour que sa malveillance ne me contamine pas davantage. Je n’y suis pas immunisé. Elle m’affecte, me pousse à des réactions inappropriées, et je suis incapable d’y jouer un rôle de béni-oui-oui qui ne me sied pas, dans le but d’accumuler une reconnaissance qui ne serait pas pour celui que je suis, mais un pantin.

Je suis un être difficile qui ne se plaît qu’en compagnie d’autres difficultés, parce qu’elles mettent l’imagination en branle et provoquent des émotions puissantes.

Ciel d’orage
Ciel d’orage