Le jardinier lève les yeux vers le ciel, puis les rabaisse vers ses mains puissantes, burinées, aux doigts longs noués sur le manche jaune d’une pioche à la tête évasée en deux pics opposés, l’un pointu, l’autre tranchant, sans que le manche soit en bois ou la tête en acier, l’un et l’autre d’un seul tenant, sans rupture de matière, sinon que le jaune se transforme en ocre pour se confondre avec la terre.

Le jardinier n’a jamais vu de pioche semblable et se demande qui l’a fabriquée. Qui a inventé le mot « pioche » et qui le lui a enseigné ? Pourquoi connaît-il l’apparence d’une pioche ordinaire et pourquoi la sienne paraît-elle étrange ? Il la soulève avec facilité, l’abat dans la terre à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle heurte une pierre qu’il ramasse et lance avec force et précision vers un muret aux fondations recouvertes de mousse. Des centaines de pierres, des milliers de pierres, rangées avec patience, et plus loin d’autres parcelles pareillement délimitées. Qui les a cultivées ? Lui, peut-être, avant de perdre la mémoire.

Parce qu’il sait avec certitude la possibilité de perdre la mémoire. Pourtant, il n’éprouve aucun malaise, aucun sentiment de manque, ni de désordre, encore moins de souffrance. Ses gestes ne lui causent pas de douleur, comme s’il était habitué à travailler la terre. Il soulève la pioche, l’abat avec plaisir alors que ses muscles se tendent, puis détendent avec fluidité. La terre exhale une odeur profonde, riche d’une vie infime et intense. Un lombric se tortille sous les éclaboussements de lumière.

Le jardinier vient de fixer le ciel immaculé pour la première fois, puis la pioche, la terre, les murets, le lombric, et d’avant, il ignore tout, même si l’air doux et parfumé lui est familier, un air de l’enfance aux nuances qui auraient pu réveiller de bons souvenirs dont cette fois l’absence ne provoque ni tristesse ni nostalgie. Comme pour la mémoire, le jardinier connaît la possibilité de l’enfance et de bien d’autres choses, encore indistinctes puisqu’aucune nécessité ne les appelle. Il ne possède pas d’expérience consciente de ces choses gravées en lui par-devers lui. Malgré l’anomalie de sa situation, évidente, la normalité d’une vie sans surprise ne lui est pas étrangère. Pour autant, il ne la regrette pas.

Il porte une chemise épaisse de couleur crème, aux manches retroussées, retenues par des boutons d’ivoire. Elle glisse sur son ventre et s’insère dans un pantalon de la même toile robuste, maintenue autour de sa taille étroite par une cordelette noire, rebouclée par un nœud plat, identique à ceux qui attachent les lacets de ses chaussures de cuir tanné, aux extrémités renforcées d’une coque noire qui, comme les deux parties de la pioche, paraît née d’une unique coulée de matière.

Un frémissement agite les feuilles tournoyantes d’un grand arbre au tronc argenté, le seul arbre du jardin. En dessous, un billot de bois, couché à l’horizontale ; un peu plus loin, une paroi rocheuse, quasi verticale. À son pied, une palissade de bois masque l’entrée d’une grotte, accessible par une porte entrouverte. Un mobile suspendu au-dessus du seuil tinte dans la brise fraîche venue des montagnes, chaîne vertigineuse aux flancs verts puis d’un gris bleuté, avant les neiges éternelles. Un paysage dont le jardinier découvre la beauté brute avec sérénité. Dans la direction opposée, au sud probablement, le jardin se jette du haut d’une falaise dans une mer végétale, moutonnée à l’infini jusqu’à se perdre dans les vapeurs de l’horizon. Une jungle crissante d’insectes et parcourue par les cris des fauves et les chants des oiseaux.

Le jardinier ignore où il est, qui il est, où il a grandi, où vivent ceux qu’il aime, à qui il manque peut-être. Il aurait dû être terrorisé, mais il ne ressent aucune émotion, sinon l’émerveillement d’être en vie alors que rien ne l’a préparé au réveil. Ou, peut-être, son calme témoigne d’un long entraînement à ne plus rien savoir de soi-même. Le jardinier se contrôle pour mieux s’analyser, son corps et son esprit dissociés, embarqués dans des aventures distinctes, l’un en train de bêcher la terre, l’autre à l’observer avec fascination et surprise. Ce détachement est probablement la seule façon de survivre à l’impossible.

Sans plus se questionner, et parce que le jardinier en éprouve une immense satisfaction, il continue de travailler la parcelle jusqu’à ce que la soif et la faim le tiraillent, et que le soleil s’élève dans le ciel, presque à la verticale, ce qui suggère une localisation non loin des tropiques. Cette nouvelle évidence empêche le jardinier de prendre peur à l’idée qu’il pourrait ne pas trouver de quoi boire ou manger ; elle implique une connaissance du monde, une sphère orbitant autour d’une étoile et tournant sur elle-même en une journée. Il aurait aimé en savoir plus, mais aucune autre certitude ne s’impose.

Il observe les parcelles autour de lui : dans certaines, de jeunes pousses de salades, dans d’autres, des plantes rampantes avec peut-être des tubercules comestibles. Il marche vers la palissade, un assemblage de troncs d’arbres façonnés à coups de hache. La porte s’ouvre sur une caverne au sol de terre battue. Le jardinier passe sous le mobile fait de coquilles argentées, suspendues à diverses hauteurs à un cercle de bois. Quand elles s’entrechoquent, elles cliquettent avec des tonalités assorties à leur taille, interprétant une mélodie qui refuse de se répéter. Pourtant des enchaînements se devinent, sorte de signatures rassurantes par leur stabilité dans un flux musical sans cesse renouvelé.

La lumière ne s’étend pas loin. Elle révèle une couverture, jetée sur un tas de paille. Des troncs surélevés par deux blocs de pierre font office de table. Dessus, un creuset jaune rempli d’eau claire où flottent des carottes. Avant que les mots ne s’imposent, le jardinier boit et dévore les carottes. Leur texture craquante et leur goût sucré ne le surprennent pas ; au contraire, il les apprécie, peut-être parce que leur saveur, elle aussi, est inscrite en lui depuis l’enfance.

Il découvre une hache jaune, d’un seul tenant comme la pioche. Elle a peut-être servi à construire la palissade et la table où repose le creuset de la même étrange couleur jaune. Il avance dans l’obscurité jusqu’à ne plus rien voir. Il crie, un écho lointain lui revient, puis le silence s’installe, entrecoupé par les tintements du mobile, et plus discrètement par les notes espacées d’un goutte à goutte. Il y a de l’eau, là-bas.

Le jardinier tressaille face à l’immensité noire et humide. Il n’ignore pas la notion de danger, ni n’est immunisé contre l’angoisse provoquée par l’obscurité insondable. Il se retourne vers la porte, un rectangle éblouissant au cœur du monde de la grotte. Il s’en approche, bras tendus, inquiet à l’idée que le jardin ait disparu, remplacé par un désert hostile.

La peur de la nouveauté est incongrue puisque peu de temps auparavant le jardinier s’est retrouvé projeté dans un jardin inconnu, dans un corps inconnu, avec une histoire inconnue. Mais il n’a aucune envie de renouveler l’expérience : il commence à s’habituer à lui-même et à goûter la continuité de son existence. Il ne veut pas renaître une fois de plus. Cette transition, bien qu’indolore, implique la fin de l’existence antérieure, son effacement, sa mort.

Mais le jardin est toujours là, brûlant, alors que le soleil brille à la verticale. Le jardinier s’abrite à l’ombre du grand arbre et s’assoit sur le billot de bois, creusé pour être confortable. Il est du même bois argenté que l’arbre, la palissade, la table. Dans les feuillages, il y a des fruits rouges et ronds, appétissants, mais impossible de grimper pour les cueillir, à moins de tailler des encoches dans le tronc à coups de hache. Le jardinier abandonne cette idée, reste longtemps à observer le frétillement des feuilles au-dessus de lui, puis retourne travailler la terre.

Ses gestes se répètent avec minutie : piocher, ramasser les pierres, les jeter vers les murets, où de temps en temps il les arrange pour qu’elles n’empiètent pas sur les parcelles. Le soleil se couche, vite. Son énorme boule rouge plonge presque exactement à la jonction entre la jungle et les montagnes.

Surpris par l’arrivée de la nuit, le jardinier se précipite vers la grotte et s’allonge sur le tas de paille. Il aurait dû anticiper, chercher de quoi manger, de quoi boire. Il pense aux plantations qu’il aurait dû arroser. Par la porte restée ouverte, il entend toujours le crépitement des insectes, ainsi que les jacassements des oiseaux, devenus plus graves, plus mystérieux, moins mélodieux, plus de l’ordre de la détresse et de l’urgence.

La porte ? Elle a une raison d’être. Un serpent pourrait se glisser dans la grotte. Mais si elle était fermée, il serait difficile de fuir en cas de danger venu du tréfonds des montagnes. Alors que le mobile chantonne, que les gouttes résonnent au loin, le jardinier soupèse ce dilemme sans réussir à prendre une décision avant de s’endormir. Enroulé dans la couverture, il s’éveille peu avant l’aube, affamé, assoiffé.

La couverture sur les épaules, il quitte la grotte pour émerger sous un ciel pur, piqueté de constellations mystérieuses. Il connaît les pioches, les tables, les creusets, les salades ou les carottes, mais pas les étoiles, et pourtant il sait se trouver à la surface d’une planète orbitant autour de l’une d’elles en une année. Cette connaissance découle d’une patiente observation du ciel. Il ne s’explique pas comment cette patience ne s’est pas accompagnée d’invention d’histoires et de noms pour les constellations, à moins que ces informations lui aient été refusées, ce qui implique un créateur. Il ne voit pas comment il pourrait en aller autrement. Il n’est pas là par hasard.

Parce qu’il ne se sent pas en danger, et parce qu’il aurait été absurde de le faire naître pour le tuer de suite, il reste capable de penser à des abstractions plutôt que de se préoccuper de boire et manger. Il longe néanmoins la palissade, puis la paroi rocheuse en direction du levant. Elle est abrupte, d’une roche marbrée, à peine râpeuse. Elle se plante dans la terre rouge avec franchise. Impossible de l’escalader.

Il dépasse le dernier muret, traverse une prairie buissonneuse, puis un bois d’arbustes malingres, aux troncs noueux, avant d’arriver à la falaise surplombant la jungle. Le jardin occupe un promontoire étroit, en forme de demi-lune, un encorbellement entre les hauteurs glaciales et la touffeur humide des bas-fonds. Le jardinier rebrousse chemin, repasse devant la palissade et la grotte, y abandonnant la couverture alors que le soleil se lève.

À l’ouest du promontoire, avant une seconde prairie, puis encore un bois d’arbres rachitiques aux troncs noueux, l’eau claire venue des montagnes suinte dans une concavité rocheuse, dont le débordement s’écoule vers la jungle par un étroit ruisseau. Deux seaux reposent là, de la même matière jaune que la pioche, la hache et le creuset. Le jardinier s’agenouille pour boire, puis remplit les seaux et se dirige vers les parcelles cultivées. Il passe la matinée à les arroser. Quand il repère les carottes, il découvre que certaines bottes manquent. Celles qu’il a dévorées la veille. Il court chercher la pioche et en déterre quelques-unes. À peine prend-il le temps de les laver avant d’y planter les dents.

Dès lors, sa vie suit un rythme immuable. Il pioche, arrose, cueille, replante. Tous les midis, il grave un trait au dos de la porte pour marquer la succession des jours. Entre deux troncs de la palissade, il a fixé un bout de bois qui lui sert de cadran solaire. Il repère la journée la plus longue de l’année, celle avec l’ombre du bâton la plus courte, et quand elle revient à ce point, il comprend qu’une année s’est écoulée. Il perd l’habitude de compter les jours pour ne plus s’occuper que des années.

Entre les montagnes et la jungle, l’air est invariablement doux, excepté quand un fort vent glacial accompagné de pluies torrentielles déboule des montagnes. Le jardinier se claquemure dans la grotte, la porte trouvant enfin une utilité. Il fait un feu avec les branches mortes ramassées dans les bois après la tempête précédente. Il récupère les cendres qu’il mêle à ses déchets pour fabriquer du compost, avec lequel il nourrit les parcelles. Quand un fruit tombe du grand arbre, il s’en fait aussitôt un festin. Il replante les noyaux, mais jamais une jeune pousse ne perce le sol.

Dix ans passent, puis vingt, puis trente, sans que jamais le jardinier n’éprouve le moindre ennui ni la moindre curiosité pour le monde extérieur. Il admire les oiseaux qui survolent le jardin, mais n’envie pas leur liberté. Quand, attirés par les fruits, ils se posent sur le grand arbre, il crie pour les effrayer. Il se sent plus proche des insectes qui butinent ses fleurs, surtout des abeilles dont il suit les pérégrinations jusqu’à leurs ruches, situées dans les bois de part et d’autre du jardin. Après les tempêtes, certaines tombent au sol et les abeilles les abandonnent, alors il recueille le miel avec lequel il agrémente ses repas. Il ne grille les légumes que quand il fait du feu dans la grotte.

Il a tout ce dont un homme peut désirer : la santé, la sécurité, un travail minutieux, selon lui jamais répétitif, et toujours source de plaisir. En début d’après-midi, installé à l’ombre du grand arbre, il pense à ses plantes, à celles qu’il devra bientôt cueillir, aux graines qu’il devra replanter, aux parcelles qu’il devra bêcher, à celles qu’il devra laisser en jachère ou au contraire remettre en culture. Ces pensées lui procurent de la joie : il anticipe ses gestes, les odeurs qui les accompagnent, la sueur qui couvre son corps, la poussière qui se colle à lui, et qui, au bout de quelques jours, nécessite qu’il lave ses vêtements. Lui-même s’arrose tous les matins de deux seaux d’eau glaciale vidés sur sa tête, puis il se frictionne le corps.

Il a cessé de se demander pourquoi il est dans le jardin et se contente d’en jouir avec une minutie laborieuse. Il se parle à haute voix pour ne pas perdre le don de la parole, même s’il n’en a aucun usage sauf pour effrayer les oiseaux, crier dans les ténèbres de la caverne ou chuchoter des mots tendres au grand arbre contre lequel il aime s’adosser pour méditer. Il fait ce qui lui semble juste et en éprouve beaucoup de satisfaction, conscient qu’un autre à sa place aurait pu se révolter et tout faire pour fuir la solitude du jardin. Mais cette solitude ne lui pèse pas. Il a son arbre, ses légumes, ses fruits, ses abeilles et de quoi s’occuper du matin au soir. Une fois la nuit tombée, il s’assoit sur une pierre qu’il a roulée devant la palissade et observe le ciel, fasciné par les étoiles, avec lesquelles il partage l’éternité.

Si le soleil parcourt au cours de l’année un cycle, si les plantes elles aussi vivent et meurent, comme les herbes des prairies ou les arbres des bois, les vêtements du jardinier, pas plus que ses outils, ne s’altèrent, identiques au premier jour. Lui-même ne change pas. Ses cheveux bruns, qui étaient courts à son premier réveil, ont poussé pour lui arriver au milieu du dos. Comme les plantes ne dépassent jamais une hauteur propre à leur espèce, ils n’ont dès lors fait que se renouveler, les plus anciens s’arrachant quand le matin il se les lave au bord de la source. Il les recueille, les tresse avec des fibres végétales et se fabrique des cordelettes, qu’il utilise pour réparer le mobile, dont la structure souffre du temps alors que les coquilles argentées semblent invulnérables.

Il ne maigrit pas, ne grossit pas. Ses mains ne se rident pas ou ne se couvrent pas de taches de vieillesse. Quand il se blesse, ses plaies guérissent vite sans laisser de cicatrices. Sa mémoire et ses pensées ne diffèrent guère des premiers jours, tant leur succession a fini par ne pas apporter de surprises. Le jardinier comprend qu’il ne ressemble pas au monde qui l’entoure. Bien que dépendant de lui, il n’obéit pas aux mêmes règles. Il est étranger et, à cause de cette étrangeté, il aime le jardin parce qu’il le rattache au monde.

Un siècle s’écoule, puis deux, puis trois, jusqu’à ce que les feuilles du grand arbre se fanent. Pris de panique, le jardinier ne cesse de lui parler, l’implorant de ne pas l’abandonner. Il se met à l’arroser, chose qu’il n’avait jamais eu besoin de faire, mais ses soins répétés n’ont aucun effet. En moins d’une année, l’arbre perd ses dernières feuilles, et ses derniers fruits tombent avant de mûrir. La tempête suivante brise la plupart de ses branches hautes.

Le jardinier n’a plus le cœur à l’ouvrage. Il passe ses journées allongé dans la grotte, se contentant de puiser dans ses réserves. Faute de soins, abandonné à lui-même, le jardin dépérit, envahi par les mauvaises herbes. Parfois le jardinier le traverse pour se planter au bord de la falaise, au-dessus de la jungle, toujours aussi grouillante de vie. Il connaît la possibilité du suicide, d’une fin brutale. Mais il entend imiter l’arbre : se dessécher peu à peu. Ou il pourrait fuir. Autant la paroi qui dévale des montagnes et où plonge la grotte n’offre aucune prise pour l’escalade, autant la falaise est irrégulière, parcourue de terrasses, de surplombs, cisaillée de failles. Aidé de ses cordelettes tressées en corde, il pourrait la descendre pour explorer la jungle. Idée dégoûtante, comme une trahison au regard du jardin et de l’arbre mort.

Le jardinier ne peut pas se résoudre à les abandonner, parce qu’il suppose qu’ailleurs il se retrouverait tôt ou tard dans une situation semblable. Il s’inventerait une nouvelle vie qui le contenterait, puis, quand elle deviendrait insoutenable, il fuirait plus loin, si bien qu’un jour il aurait parcouru la surface du monde pour revenir au jardin en ruines. La fuite n’est jamais une solution.

Il se remet au travail sans enthousiasme jusqu’à ce qu’il découvre, non loin de l’arbre mort, une jeune pousse qu’il s’empresse d’arroser. Un an passe, puis deux, puis trois, et le nouvel arbre au tronc argenté produit déjà une ombre généreuse et porte ses premiers fruits. Bientôt, le jardinier est obligé d’abattre l’ancien arbre pour laisser son successeur étendre ses frondaisons. Il débite le bois pour réparer la palissade et la table dévorée par l’humidité de la caverne.

La vie reprend son cours. Un millénaire passe, puis deux, puis trois. Un arbre vit en moyenne cinq siècles, et ce n’est qu’à ce moment qu’un rejeton apparaît. Le jardinier l’attend avec angoisse, de peur de se retrouver seul au monde, forcé de changer de vie, ou peut-être de mourir à son tour. Mais plus le temps passe, plus le jardinier en perd le fil. Il ne le décompte plus et n’en prend conscience que quand un arbre meurt avant de renaître.

Une éternité s’écoule, durant laquelle les étoiles dessinent de nouvelles constellations. Il y a des périodes plus froides ou plus chaudes, plus sèches ou plus humides. Pendant plusieurs années, le ciel se teinte de gris et des cendres pleuvent sur le jardin. Les plantes souffrent, l’arbre ne produit plus de fruits, les abeilles manquent de force. Le jardinier redouble de travail pour maintenir en vie son petit monde. Puis un jour, longtemps après cette calamité, alors qu’un soleil radieux se couche, une silhouette se dresse au sommet de la falaise. Un visiteur ! Le jardinier l’attendait depuis le commencement.