On me demande souvent si je suis pour la suppression de la sécurité sociale. Je réponds oui. Et je me fais invariablement insulter. En fait, je suis pour la disparition progressive de la sécurité sociale telle que nous la connaissons afin qu’une autre apparaisse : plus souple, plus réactive, plus efficace, moins coûteuse…

— Comment fonctionnera cette nouvelle sécu ?

— Je ne peux pas le prévoir. Elle émergera de l’interaction entre les agents autonomes qui se soutiendront les uns les autres.

— Vous ne pouvez pas vous en tirer aussi simplement.

— Si je propose un nouveau modèle de sécu, je deviens un politicien, je fais des prévisions, je dis que mon projet fonctionnera. Or je n’en sais rien. Je sais juste que nous pouvons nous auto-organiser. Comme nous avons pris goût à la sécu, nous pouvons de nous-mêmes améliorer ce système, tout d’abord en le débarrassant de son écrasante centralisation.

— Pour aider les plus faibles, il faut bien une caisse centrale qui répartit l’argent.

— Pas nécessairement. Il ne faut pas oublier que la sécu n’a pas toujours existé. Si elle est un progrès, je ne le nie pas, elle marque aussi le renoncement des individus à soutenir les autres individus. Quand quelqu’un souffre, c’est à la sécu de le prendre en charge. C’est un peu rapide. Dans les villages d’avant l’époque de la sécu, je ne suis pas sûr que les gens mourraient dans l’indifférence. Les voisins essayaient d’aider. La sécu centralisée nous a fait oublier que nous pouvions aider. Aux États-Unis, où la sécu est des plus primitives, les gens s’impliquent beaucoup plus que nous dans l’entraide. Ils agissent plus civiquement que nous. En France, si la sécu disparaissait soudainement, ce serait le chaos, tant nous avons perdu l’habitude de nous entraider.

— Qui paiera les médecins, les hôpitaux ?

— J’ai entendu à la radio la semaine dernière, le témoignage poignant d’une infirmière. Elle était désespérée : après trente ans de carrière, elle ne gagnait pas de quoi se loger près de ses lieux de travail, du coup elle n’avait pas de travail. C’est inacceptable. La sécu ne peut pas mieux payer l’infirmière parce que la sécu est en faillite. C’est à nous de payer l’infirmière, de lui dire merci quand elle nous aide. Et nous, ce n’est pas seulement vous ou moi, mais aussi notre réseau…

PS1 : J’avais prévenu que je me faisais toujours insulter dès que je parlais de la sécu, ça n’a pas manqué. Dans l’esprit de certains, elle a remplacé Dieu, ils n’imaginent pas qu’on puisse la remplacer par quelque chose d’autre, et de mieux. Pour ma part, je suppose que rien ne subsiste très longtemps sans changement. Je suis un néo-darwiniste.

PS2 : Je ne sais pas quel avenir nous sommes en train de construire. Une chose est sûre, les moyens d’interaction sont de plus en plus nombreux et de moins en moins onéreux. Je crois même qu’une des rares lois fondamentales doit permettre à tout le monde d’interagir. Après, avec cet outil, nous devrons réinventer le monde.

PS3 : L’auto-organisation découle du droit de chacun à interagir avec les autres. Les structures complexes peuvent s’auto-organiser et inventer des structures émergentes que personne n’a vraiment pensées mais qui sont d’une robustesse, d’une beauté, d’une efficacité… inaccessibles à la raison ordinaire. Pour moi, la sécu de demain émergera du réseau de nos interactions, elle ne sera pas pensée a priori. Cette sécu sera mille fois plus humaine et plus efficace que celle que nous connaissons aujourd’hui. En tout cas, je l’espère.