Cette interview avec Olivier Malnuit de Technikart a commencé le 5 janvier 2006 lors d’un déjeuner et s’est poursuivie par mail. Les questions abordées sortent souvent du cadre exploré dans Le peuple des connecteurs. Elles m’ont prouvé que la pensée des connecteurs était cohérente et pouvait s’appliquer à tous les domaines.

— Dans votre livre, vous comparez souvent internet à une sorte de nouvelle église. Pour vous, l’explosion des réseaux est-elle une révolution politique aussi forte, sinon plus, que la naissance du christianisme ?

— Le christianisme a fait, il me semble, les hommes égaux devant Dieu. Maintenant, pour la première fois dans l’histoire, nous devenons égaux tout simplement. Où que nous habitions, quels que soit notre fortune, notre origine sociale ou notre métier, nous pouvons nous interconnecter les uns avec les autres et interagir. Internet étend notre réseau social à l’échelle de la planète. S’il était une église, ce serait une drôle d’église, sans prêtre et sans dogme, sans divinité tutélaire et sans livre sacré. Dorénavant, nous sommes libres et responsables de la totalité de nos actes. Nous n’en répondons que face aux autres hommes.

— Jésus avait un projet ambitieux : « Aime ton prochain comme toi-même. » Mais pour vous, la vie en réseaux est encore plus riche de promesses, puisqu’elle pourrait nous permettre de nous auto-organiser et de nous respecter les uns les autres… Comment vous croire ?

— Il ne faut pas me croire mais croire en soi, croire en notre capacité de prendre notre destin en main. Nous disposons aujourd’hui des outils technologiques pour agir quelles que soient nos compétences et nos envies.

Aux premiers temps du christianisme, les apôtres partirent prêcher la bonne parole. Saint Paul, le plus diligent, consacra sa vie à voyager, à visiter des peuples habités de croyances diverses, essayant de les connecter les uns aux autres en leur enseignant la vision de Jésus. Ainsi le réseau du christianisme s’étendit peu à peu, véhiculé par des hommes sensés détenir la vérité qui confère l’autorité.

Aujourd’hui, Saint Paul publierait un blog quotidien multilingue. Tous les apôtres potentiels l’imiteraient, ceux des autres sectes aussi. Leurs voix s’entremêleraient, interféreraient, se contrediraient. Elles pourraient s’annuler ou entrer en résonance et engendrer une voix nouvelle appartenant à tous et à personne en même temps. Elle jaillirait d’elle-même en quelque sorte et personne ne pourrait en détenir la vérité car elle n’existerait tout simplement pas.

C’est cela l’auto-organisation. Nous agissons localement, nos actions jugées sur pièces, parfois reprises, répercutées, altérées, trouvent de nouveaux supporters. Les comportements d’ensemble que personne n’a pensés, que personne ne peut contrôler, naissent spontanément à partir des interactions locales. Internet, lui-même, est né de cette façon.

Le slogan des connecteurs pourrait être « Reste connecté à tes contemporains, maintient-les de toute tes forces dans le réseau. » Tant que nous sommes interconnectés, nous pouvons appeler à l’aide et même recevoir de l’aide spontanément. Plus nous sommes interconnectés les uns les autres, moins nous avons de chance de nous voir isolé si un lien se rompt. Dans les sociétés centralisées, hors de la famille, les liens sont ténus. Quand l’État flanche, c’est souvent la catastrophe.

Dans une société organisée en réseau, nous nous retrouvons au centre d’un maillage étroit, le réseau devient notre sécurité sociale. Le réseau autour de nous est vivant, il se redessine en fonction des circonstances plutôt que de dérouler des procédures stéréotypées. Et une fois membre du réseau, nous voyons mieux le monde, nous recevons plus d’information, nous découvrons plus vite les gens qui souffrent près de nous, nous pouvons faire un geste et c’est d’autant plus facile que nous ne sommes jamais seul à être interconnecté.

— Les « connecteurs », la génération née avec les premiers ordinateurs, dont vous racontez la rupture avec toute forme d’autorité centrale (États, gouvernements…) sont-ils les apôtres d’une nouvelle forme de « libéral communisme », basé sur une absence de règles et la religion du partage ?

— Communistes, certainement pas. Jusqu’à présent, le communisme a toujours engendré des monstres centralisés, que ce soit en Union Soviétique, en Chine ou à Cuba. Même en France, le parti dispose d’un comité central qui rêve, ou plutôt rêvait, de plans quinquennaux. Les connecteurs sont plutôt des « libéraux sociaux ».

Nous sommes libéraux parce que nous nous considérons libres d’entreprendre et de penser indépendamment de toute autorité régulatrice. Mais notre libéralisme n’est pas extrémiste : pour nous auto-organiser, nous devons respecter quelques règles. J’en propose trois en m’inspirant de celles imaginées par Isaac Asimov pour les robots, elles sont sans doute insuffisantes, c’est à nous de les inventer. Nous sommes aussi socialistes parce que nous nous savons capables de nous auto-organiser et ainsi de construire une société plus juste.

Pour moi, le véritable socialisme n’a encore jamais existé. Tous les hommes politiques socialistes supposent que la société se compose de faibles auxquels « on » doit venir en aide. Qui est donc ce « on » sinon une caste autoproclamée qui se place au dessus des faibles ?

Aujourd’hui, un véritable socialiste doit dire « nous avons besoin de ceci ou de cela ». Il ne doit pas parler au nom de gens qui lui sont étrangers. Ils ont le droit et les moyens de s’exprimer dès qu’ils le jugent nécessaire. La société des connecteurs se construit à partir des gens, à partir de nous, elle s’auto-organise.

Oui, c’est une véritable religion du partage. Habituellement, nous vivons dans un monde dualiste. D’un côté, l’États (les forts), de l’autre les gens (les faibles). C’est terminé. Une fois connectés, nous partageons notre vie, nous compensons les faiblesses des autres par nos forces et inversement.

— Curieusement, la philosophie politique des connecteurs est basée sur une absence totale de revendication. Comment accoucher d’un monde nouveau sans détruire l’ancien ?

— Mais ce monde nouveau est déjà là. Personne n’a remarqué sont avènement parce que nous vivons une révolution silencieuse. Lorsque vous avez rejeté les autorités centrales, lorsque vous ne croyez plus aux compétences des gouvernements, vous avez deux choix. Soit vous vous lamentez comme nous l’entendons trop souvent en France, soit vous vous retroussez les manches et vous vous mettez au travail. Il ne vous vient pas alors à l’idée de revendiquer. Car revendiquer contre qui ? Qui peut vous venir en aide ? Personne sinon les autres hommes qui comme vous travaillent à construire l’avenir. Vous collaborez avec eux, vous partagez vos idées, vos doutes, vous vous auto-organisez et le monde change de lui-même.

— Que pensez vous des nouvelles déclarations, presque chrétiennes de Bill Gates, Tony Blair, l’éditorialiste Thomas Friedman, ou même Klaus Schwab, le fondateur de Davos (qui n’est pas vraiment un tendre), qui réclament aujourd’hui plus de partage des richesses, de transparence économique, d’éthique sociale… ?

— Un économiste justifierait sans doute la position de nos grands manitous en invoquant le déficit du commerce extérieur américain et la nécessité pour les pauvres de s’enrichir afin de devenir des consommateurs. Pour m’a part, j’entrevois une autre explication. Bill Gates, et avec lui tous les entrepreneurs high-tech, vivent dans un monde hautement interconnecté, un monde de connecteurs qu’ils ont contribué à créer et auquel ils appartiennent. Consciemment ou non, ils se sont imprégnés de cette nouvelle culture du réseau. Ils ont vu internet se construire de lui-même, prospérer à une vitesse stupéfiante, échapper à tout contrôle, au leur notamment.

Plus nous sommes interconnectés, plus nous disposons de moyens de communication, plus nous sommes créatifs. Aucune contrainte matérielle ne limite le progrès de la société de l’information. Bill Gates l’a compris, je suppose. Les politiques finissent par le comprendre aussi. Le nouveau monde des connecteurs ne se nourrit pas des déséquilibres mais de l’auto-organisation, et qui dit auto-organisation, dit connecteurs libres d’accéder à toutes les connaissances humaines. Exclure une partie de l’humanité du réseau, serait en réduire les potentialités.

— On a l’impression qu’aujourd’hui la philosophie « Don’t be Evil » de Google a triomphé jusqu’aux sommets du libéralisme international, comme si on ne pouvait plus faire de business sans faire le bien dans le monde. Les nouveaux capitalistes sont-ils vraiment tous des saints ?

— Notre société, par sa complexité, a échappé à tout contrôle, à celui des gouvernants comme à celui des capitalistes, ils n’ont pas d’autre choix que d’aller dans le sens de la marche imposé par les hommes libres.

Paradoxalement les grandes corporations n’ont jamais été aussi puissantes qu’aujourd’hui et, en même temps, elles sont plus timorées que par le passé car elles n’existent que grâce aux employés qui les composent. Ces employés sont interconnectés, au sein de l’entreprise, mais aussi avec les entreprises concurrentes, avec les fournisseurs, avec les clients, avec le reste de la planète. Les employés ne sont plus, ou de moins en moins, de petits soldats serviles. Une société composée de connecteurs ne peut plus poursuivre la richesse par n’importe quel moyen.

— Aujourd’hui, un « monstre monolithique » comme Microsoft est-il obligé d’être super sympa pour continuer à se développer et gagner de l’argent ?

— C’est Apple qui est super sympa, c’est un positionnement qui paye en ce moment. Mais nous n’achetons pas des produits seulement parce que la communication qui les entoure est sympa. Les connecteurs sont informés, ils ont appris à choisir. Microsoft prospérera s’il nous propose de vraies nouveautés, ce dont je doute, car Microsoft reste trop centralisé. Google semble mieux armé. Les idées y circulent, c’est un réseau en miniature, non pas une pyramide pharaonique (en tout cas pour l’instant).

— Pour vous, l’interconnexion des sociétés actuelles a transformé les décideurs en apprentis sorciers parce que, dites vous, « ils ignorent la topologie des réseaux qu’ils manipulent. À l’ère des connecteurs, qui détient le pouvoir ?

— Vous, moi, nous tous, qui nous auto-organisons, mais surtout pas nos gouvernants. Dans mon livre, je publie plusieurs cartes de réseau, notamment celle de la chaîne alimentaire dans l’Atlantique Nord. Quand nous découvrons la complexité de ces cartes, nous ne pouvons qu’être abasourdis. Où agir ? Et si j’agis là, que va-t-il se produire ailleurs ? Personne, même aidé des plus puissants ordinateurs, n’est capable de prédire la conséquence de ses actes dans un monde hypercomplexe.

Les gouvernements ont connu leur utilité à un moment où l’humanité était plus petite et moins interconnectée. Comme les royautés ont cédé leur place aux démocraties, les démocraties représentatives vont devoir céder leur place à des démocraties que j’appelle métalocales, où les décisions sont distribuées, où les mesures globales émergent d’elles-mêmes à partir des initiatives individuelles au niveau local.

— Et si personne ne détient le pouvoir, comment cette société décentralisée peut-elle ne pas sombrer dans la barbarie ?

— Je commence le livre en parlant des oiseaux qui réussissent à voler en flotte, à dessiner des configurations merveilleuses, sans aucune autorité centrale. Ils nous montrent que l’absence de gouvernement n’implique pas le chaos. L’évolution, du moins pour les scientifiques, n’est pas contrôlée, elle nous a néanmoins inventés. L’ordre est partout présent dans l’univers et nous arrivons à expliquer son apparition à partir de règles simples. Le développement de nos villes, au fil des générations, n’a jamais été contrôlé, leur topologie n’en est pas moins souvent admirable. Croire que l’ordre présuppose le contrôle centralisé est un anthropocentrisme, peut-être parce que nous voyons notre cerveau comme un ordinateur central, mais notre cerveau aussi est décentralisé.

Je pense même que la barbarie guette plus facilement les sociétés centralisées que les sociétés décentralisées. Il suffit de voir le désarroi des Israéliens après l’attaque cérébrale d’Ariel Sharon. Un pouvoir central est fragile car il peut être décapité facilement. Si notre corps était centralisé, il suffirait d’un petit incident dans ce minuscule centre pour que nous succombions. Heureusement, nous sommes plus robustes parce que l’évolution a depuis longtemps découvert les bénéfices de la décentralisation. Nous devons aujourd’hui les redécouvrir et les adapter à nos sociétés.

— L’organisation sociale des connecteurs, basé sur l’auto-régulation, s’inspire de la nature, c’est assez baba-cool pour un mouvement de pensée né avec le punk et les jeux de rôles, non ?

— Les baba-cool fumaient de l’herbe et élevaient des chèvres sur le Larzac, ils prêchaient une forme de retour à la nature. Sur ce, les punks dirent que le monde était pourri mais ils ne proposèrent pas de le fuir. Il fallait faire table-rase. Le jeu de rôle devint un laboratoire où inventer des mondes hypothétiques. Bill Gates et Steve Jobs lancèrent alors la révolution de la micro-informatique et nous avons commencé à changer notre propre monde.

Les connecteurs n’ont rien de baba-cool. Ils aiment le luxe, surtout le luxe technologique. Ils rêvent d’un monde de plus en plus riche, ils aiment le changement. Les baba-cool refusaient les gouvernements car ils rêvaient d’un monde simpliste, primitif. Nous rejetons les gouvernements pour des raisons contraires : notre monde a atteint une complexité qui interdit toute forme de contrôle.

— Les décisions des dirigeants français modifient beaucoup de choses dans l’existence de pas mal de gens, mais visiblement pas dans celle des connecteurs. Est ce parce qu’ils vivent dans un autre monde ou qu’ils constituent une nouvelle élite du savoir ?

— Pour les connecteurs, la liberté s’exprime avant tout sur le réseau, une zone qui échappe à la juridiction des gouvernements malgré toutes leurs tentatives de reprises en main (même en Chine). D’une certaine façon, nous vivons donc dans un autre monde. Mais quand le monde ordinaire nous déplait, nous essayons de le changer.

Si les connecteurs formaient une élite ce serait en contradiction avec leur refus d’une société stratifiée. Mais le savoir est bien sûr leur matière première, un savoir libre, disponible pour tous. Ce savoir n’est pas nécessairement complexe, réservé à une intelligentsia. Un cuisinier connecteur aura la curiosité d’étudier toutes les recettes du monde. J’ai une amie peintre en bâtiment qui s’inspire des techniques ancestrales arabes comme de celles des paysans du moyen-âge. Quel que soit notre métier, notre passion, les savoirs sont sans limite mais, pour nous, ils ne sont jamais complexes, et encore moins interdits.

— Vous refusez les diplômes, comme Steve Jobs qui affirme qu’ils ne servent à rien, tout en faisant du savoir la clef d’une nouvelle organisation sociale. Comment s’y retrouver ?

— Par diplôme, j’entends spécialisation. Médecin, informaticien, professeur de géographie, chaudronnier. Un spécialiste ne regarde le monde que d’une certaine façon. Lorsque la complexité de ce monde s’accroît, il ne voit plus rien. Il se retrouve comme face à une peinture cubiste. Le généraliste, au contraire, doué de plusieurs regards, réussit à découvrir des relations qui échappent au spécialiste. Il est mieux adapté à la complexité et aux changements perpétuels inhérents à cette complexité.

Par ailleurs, un diplôme normalise, il fait se ressembler chacun des diplômés. Pourtant, plus nous différons les uns des autres, plus nous sommes capables de nous interconnecter de façon diverse et féconde. Nous sommes égaux les uns aux autres mais nous devons différer le plus possible les uns des autres. Nous devons donc apprendre sans cesse mais pas nécessairement apprendre ce qu’une administration scolaire ou universitaire nous ordonne d’apprendre.

— Le dernier chapitre de votre livre s’appelle « ne pas mourir ». Pensez vous que les sociétés en réseaux peuvent nous apporter la vie éternelle ?

— Nous gagnerons la vie éternelle tôt au tard. L’avènement des réseaux nous permet simplement de maintenir un taux de progrès scientifique exponentiel et donc de rapprocher cette échéance. Si cette éternité ne convient pas aux hommes, les futures machines intelligentes et conscientes s’en accommoderont fort bien.

— Qu’est ce qui tient aujourd’hui le plus du miracle : la survie actuelle du vieux monde hiérarchique avec des impôts, des États, des patrons, des syndicats… ? Ou l’avenir d’une démocratie métalocale en réseaux, telle que vous la décrivez, où plus personne ne vote, ni travaille mais change la face du monde sur son ordinateur ?

— Il n’y a pas de miracle. L’ancien monde se voit progressivement infiltré par le nouveau. Nous n’avons pas encore atteint le point de basculement mais nous risquons de vivre un brusque écroulement comme pour le mur de Berlin. Toutefois, personne ne peut prédire quand il adviendra.

— Dans votre livre, vous révélez qu’internet n’a jamais été conçu pour résister à une attaque atomique mais pour des raisons purement économiques. Finalement, le business aujourd’hui, c’est un peu la théorie du chaos…

— Je préfère parler de complexité plutôt que de chaos. Quand nous essayons de créer un produit, un service, nous sélectionnons ce qui fonctionne par essais et erreurs, nous n’avons pas besoin de comprendre pourquoi cela fonctionne, nous savons même que nous n’avons aucune chance de le comprendre. C’est une position assez humble. Il n’y a pas de recette miracle, l’intuition est fondamentale.

— En plaidant pour une décentralisation totale de la société, avec une fin programmée de l’État, de la justice, de l’école « Nationale »… avez-vous le sentiment de préparer une société citoyenne ou totalement dominée par les marchés ?

— Dominer ? Dans un monde, non hiérarchique, il ne peut plus y avoir de domination. La société citoyenne ne sera dominée que par les individus qui la composent. Leur diversité impliquera la coexistence d’une multitude de marchés. Certaines personnes échangeront des produits, d’autres de l’information, des services, du temps… Je ne suis pas sûr que le système monétaire actuel puisse survivre. Nous risquons de découvrir diverses formes d’argent, des monnaies non convertibles entre-elles.

— Cette société décentralisée que vous revendiquez est elle incompatible avec la foi religieuse qui s’est toujours exprimée vers une divinité centrale ?

— Le bouddhisme ne me paraît pas centralisé. Mais peu importe. Si les gouvernants sont impuissants, si nous-mêmes sommes incapables de contrôler nos créations, internet par exemple, pourquoi une divinité parviendrait-elle à contrôler le monde dans toute sa complexité ? Dieu a peut-être créé le monde mais, par la suite, il n’a eu d’autre loisir que de le regarder évoluer. Je ne peux imaginer qu’un Dieu artiste qui contemple sa création, parfois avec émerveillement, souvent avec effroi. Il ne sert à rien de prier un tel Dieu. Il ne peut rien pour nous, c’est à nous à prendre notre destin en main.

— Vous dîtes « notre Dieu est le hasard, notre religion l’évolution ». Le langage binaire de l’informatique, la méthode de l’essai-erreur, sont-ils les bases d’une nouvelle école spirituelle du darwinisme?

— On appelle ça l’écologie je crois !

— Vous écrivez « la créativité est devenue la valeur suprême des connecteurs ». Que vont devenir les non créatifs dans une société décentralisée ?

— L’évolution est créative, nous sommes tous créatifs, ne serait-ce que parce que nous sommes capables de saisir les créations hasardeuses qui surviennent dans nos vies. Plus nous seront interconnectés, plus nous aurons accès les uns aux autres et aux informations crées par les uns et les autres, plus nous aurons d’occasions d’apercevoir des faits passés inaperçus aux yeux des autres. La créativité doit être mise en avant parce qu’elle apparait comme une de nos compétences les plus merveilleuses. Elle est aussi la condition sine qua non pour que nous nous adaptions aux imprévues et trouvions des solutions originales.

— Pensez vous comme Stephen Wolfram que le monde est bâti à partir de quelques lignes de code ?

— Comme nous ne pouvons connaître le monde que par l’intermédiaire des informations qui nous parviennent, je suppose, moi aussi, que la meilleure façon de décrire le monde c’est à l’aide d’une théorie de l’information. L’informatique me paraît appropriée. Je crois que le monde est simple et que de cette simplicité émerge tout le reste.

— Si nous sommes un jour capables de simuler sur ordinateur l’univers et l’ensemble des civilisations, est-ce à dire que l’informatique est le grand créateur ?

— Surtout pas. Le monde peut reposer sur un programme que personne n’a programmé. Le programme peut, lui aussi, être là par hasard, il peut s’être auto-assemblé. Je trouve cette façon de voir les choses assez excitante. Nous sommes les seuls maîtres à bord.