À Bombay, les dabbawalas sont des porteurs de gamelles qui livrent dans les entreprises des plats préparés à domicile. Ils arrivent toujours à l’heure en se jouant des embarras de circulation et difficultés logistiques !

Le système mis en place par l’association des dabbawalas est tellement bien huilé que les retards se comptent en secondes – un miracle, dans cette ville capharnaüm de 17 millions d’habitants. Les ratés d’aigguillage sont quasi nuls : un sur 16 millions de transactions… Une performance réalisée par des hommes illettrés et sans l’aide d’aucune technologie moderne.

Cet exemple montre que la société auto-organisée ne sera pas au service d’une élite de manipulateurs de symboles (les hackers de McEnzie Wark). Tout organisme vivant est un manipulateur de symboles d’ailleurs, un sorte d’ordinateur. Nous devons, chez nous, cultiver cette compétence que nous avons déjà poussée très haut.

Comme les livreurs de Bombay, je crois que nous allons tous devenir des prestataires de services, les manipulateurs de symboles comme les autres. Un manipulateur de symboles expert sera sans doute plus connecté, ça lui confèrera un avantage, c’est sûr, mais pas le pouvoir de dicter ses volontés aux autres (j’espère).

La connexion implique la formation d’une sorte d’intelligence collective, l’appartenance à un corps géant, la société. Cette intelligence sera aussi plus attentive à chacun de ses membres, ce qui devrait réduire le nombre de laissés pour compte (j’espère).

La semaine dernière, j’ai discuté un peu de ça avec ma femme de ménage, qui est aussi devenue une amie, qui fait maintenant partie de la famille. Elle est très engagée politiquement à gauche, remontée contre le CPE, aujourd’hui elle manifestera. Pourtant, elle travaille déjà indépendamment, elle a plusieurs clients pour lesquels elle est prestataire de services. Elle se révolte contre le CPE alors que cette mesure ne la touche pas, ne touchera pas ses enfants qui, à coup sûr, seront aussi des prestataires de services. En prime, le CPE n’aura aucune conséquence profonde sur notre société, raison de plus pour ignorer cette mesure (même si on peut pas ignorer la stupidité des politiques – mais cette dernière est universelle).

J’ai beaucoup d’amis qui travaillent dans le bâtiment, je ne vois pas ce que leur travail a de routinier. Ils ont sans cesse de nouveaux problèmes à résoudre, des décisions à prendre. Je sais bien que ce n’est pas le cas de tous leurs collègues, mais ils peuvent, eux aussi, se placer dans une perspective de services. Nous devons à tout prix chasser la routine de nos vies.

Quant aux travaux les plus routiniers, il ne fait aucun doute que des machines pourront s’en changer. Aujourd’hui, déjà, des millions d’emploi routiniers pourraient être supprimés. Par exemple, je me demande encore pourquoi les autoroutes maintiennent des opérateurs humains aux péages. Il ne faut pas avoir peur du chômage, c’est un temps propice à la remise en question, à l’étude, à la rêverie. Il faut qu’il devienne un passage normal dans nos vies. Je sais bien que ces changements prendront du temps, le temps qu’une nouvelle génération née avec ces idées entre dans la vie active.