La publication de mon article au sujet de la singularité sur Agoravox a suscité pas mal de commentaires qui m’ont fait me poser pas mal de questions, me laissant plutôt pessimiste, ce qui contraste avec le ton de mon article.

Je me demande à quoi bon toutes nos vociférations. Cette pensée me traverse souvent depuis quelques temps lorsque je surfe sur la blogosphère. L’article publié en même temps que le mien chez Nicolas Voisin me montre que je ne suis pas le seul à m’interroger.

Ne sommes-nous pas tous en train de perdre beaucoup de temps ? Ne ferions-nous pas mieux de nous installer en terrasse de café et de rêvasser plutôt que de poster des commentaires sur les blogs ? Chacun y va de son avis, de sa petite poussée existentielle, moi le premier, mais je ne suis pas sûr que nos idées changent pour autant. Au final presque tout le monde reste sur sa position. Le bilan me paraît totalement nul.

Je tombe souvent sur des post intéressants, parfois passionnants, mais, à leur suite, la série de leurs commentaires s’apparente plus à un brouhaha qu’à un véritable débat. Nous nous dispersons, nous perdons le focus du post initial, ça fait très TV réalité. Entre celui qui veut faire de l’humour, celui qui ramène tout à lui, celui qui, coûte que coûte, veux dire un truc même si ça n’a aucun rapport avec le sujet, nous n’aboutissons à rien. Même sur les forums techos, je découvre des dérives de ce genre, heureusement moins fréquentes car il s’agit le plus souvent de répondre à des questions claires.

À quoi bon dire, moi Thierry Crouzet ne suis pas d’accord avec vous. Ça n’a aucun intérêt. Tout le monde s’en fiche. Dans un commentaire, je peux relever une erreur, ajouter une information, démontrer une faute de raisonnement, mais pourquoi devrais-je donner mon opinion ? Si j’ai envie de m’exprimer, je dois le faire sur mon blog, dans mon espace personnel et ne pas parasiter celui des autres. Le trackback a été inventé pour ça et trop peu de gens l’utilisent. Un trackback est une connexion, un lien durable entre deux articles, alors qu’un commentaire n’engage pas vraiment son auteur, il ne le suit pas à vie.

Nous autres humains ne savons pas discuter par écrit. Même les échanges épistolaires d’hommes célèbres montrent souvent de l’incompréhension. Je pense à ceux entre Newton et Leibnitz par exemple. Je crois qu’une conversation réelle ne peut se jouer que face à face. Le non-dit dans ce que nous disons est fondamental.

La bande-passante de l’écrit est peut-être trop limitée pour un dialogue. L’écrit permet d’exprimer un point de vue, pas d’en confronter, surtout pas d’en confronter des dizaines. Si c’est le cas, les projets de média citoyen du type d’Agoravox auront du mal à dépasser le cercle d’une communauté d’initiés. Ils joueront le même rôle que le Speaker’s Corner de Hyde Park, ils ne changeront pas la face du monde. Heureusement, la technologie existe déjà pour qu’ils tirent leur épingle du jeu. Ils doivent initier leurs internautes à l’usage intensif du trackback, essence à mes yeux du web 2.0.

Un trackback parle mieux qu’un commentaire parce qu’il est émis depuis le site de son auteur, comme une parole qui sort de sa bouche. Grâce à tous les autres posts qui l’entourent, il exprime des choses que le seul trackback lui-même ne dit pas. Le trackback augmente la bande-passante de l’écrit, il la multiplie. Et comme nous nous engageons lors d’un trackback, nous prêtons aussi plus attention à ce que nous écrivons. Les trackbacks nous collent à la peau.

En comparaison, les commentaires nous virtualisent, ils nous désincarnent, nous laissent dire n’importe quoi car ils ne nous coûtent jamais. Indiquer l’adresse de notre site en signature d’un commentaire ne me paraît pas un signe d’engament assez fort, car le fameux commentaire n’est pas publié chez nous. Comme il pointe vers chez nous mais que nous ne pointons pas vers lui, il flotte perdu dans la blogosphère, il n’a aucun poids.

Je ne suis pas en train de dire que la connexion ne sert à rien, au contraire, elle doit être une connexion réciproque, elle doit être une rencontre, elle doit se prolonger hors de la médiation de nos écrans. Nous devons redonner de la vie au café, animer les terrasses de nos conversations.