Suite à mon article sur la constitution d’Étienne Chouard, les commentateurs m’ont traité de gauchiste. Ça m’arrive même si le plus souvent on me traite d’ultralibéral.

Cette accusation amuse d’ailleurs mon ami Francesco Casabaldi, lui-même souvent considéré comme un alter-ultra à tendance zapatiste. Et pourtant on est d’accord presque sur tout. Je suis sûr qu’il en va de même avec Étienne. Nos divergences sont si minimes qu’elles sont anecdotiques. Alors ? Suis-je versatile ? Suis-je mal dégrossi ? Où est-ce que mes critiques ne me comprennent pas ? Sans doute un peu des deux, je vais donc essayer de m’expliquer.

Durant les années 1950, lorsque Nathalie Sarraute, Claude Simon, Alain Robbe-Grillet… publient leurs premiers romans, la critiques hurle qu’il ne s’agit pas de romans, que ce n’est même pas de la littérature. En 1961, Alain Robbe-Grillet dans Pour un nouveau roman explique sa méthode. Il dit que les critiques sont incapables de juger une chose nouvelle car ils ne disposent pas encore de l’outil critique pour l’évaluer. Ils cherchent à la comparer à ce qu’ils connaissent, à la juger comme ils jugent le reste. C’est pour cette raison que la plupart des critiques passent à côté des révolutions esthétiques.

J’ai souvent l’impression d’être à la place des nouveaux romanciers des années 1950. On me classe tantôt à droite, tantôt à gauche parce qu’on cherche à me lire suivant un prisme de lecture qui ne vaut que pour les choses anciennes. Je ne crois pas être versatile, j’ai une ligne de conduite, une façon de voir que j’ai théorisée dans Le peuple des connecteurs et dont je parle souvent ici. Cette façon de voir force à se libérer du clivage droite-gauche. La droite et la gauche, ça n’a plus aucun sens.

Quand Étienne dit « Ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir. », je ne vois pas en quoi cette position est de gauche ou de droite. Les libéraux pourraient même s’emparer de ce slogan, à condition qu’il ne s’agisse pas de remettre le pouvoir à d’autres hommes, ce qui au final ne changerait pas grand-chose. Nos positions ne sont pas de gauche ou de droite, elles sont ailleurs, dans une autre dimension.

Avant l’avènement des démocraties, la politique était un espace de dimension nulle qui se résumait à un point central, le souverain. Il n’y avait aucune autre alternative, sinon d’autres points qui voulaient prendre la place du point. Avec les démocraties, la politique a fait un bond fantastique en s’inscrivant sur une droite d’un bout à l’autre de laquelle se sont répartis les adversaires. Maintenant nous entrons, j’espère, dans une époque de politique tridimensionnelle. Les positions politiques vont devoir se projeter sur une sphère, même dans le volume d’une sphère.

Cette évolution serait logique après tout. De la simplicité excessive des monarchies de dimension zéro, nous serions passés à la schématique bipartition gauche-droite des démocraties représentatives avant d’aborder le champ complexe des démocraties participatives. Cette évolution ne pouvait s’effectuer qu’avec l’avènement de la pensée complexe, dont Edgard Morin fut un des premiers défenseurs dès le milieu des années 1970.

Aujourd’hui, cette pensée complexe envahit tous les champs de la science et de la technologie, et elle gagnera peu à peu  le champ politique. Car pour gérer un monde complexe, il faut une pensée capable d’aborder la complexité. Toutes approches simplificatrices, telles celles de nos hommes politiques installés, nous mettent en danger. En nous imposant une politique unidimensionnelle, ils veulent nier l’évolution qui nous amène ailleurs. Ils veulent nier les problèmes de plus en plus graves auxquels fait face le monde.

Je viens d’écrire cet article grâce à un ami qui hier m’a dit « Si on te dit tantôt à droite tantôt à gauche, c’est que ta position n’est pas claire. » Je crois plutôt que mes critiques tiennent des propos archaïques. Ils ne savent pas encore lire ma ligne de conduite. Mais ça viendra. Le monde change quoi qu’il arrive.