Johnny et Doc Gynéco, ça fait chic dans un meeting politique. Bayrou et Voynet dans une réunion de blogueurs, ça en jette aussi pas mal. À tous les coups, ça attire nos amis journalistes comme des mouches.

Hier soir se tenait à Paris la deuxième République des blogs. À côté de Dominique Voynet, auto-invitée comme les autres blogueurs, se trouvait François Bayrou. Il ne nous à pas imposé sa présence parce que le matin même je l’avais invité.

Mais pourquoi a-t-il accepté cette invitation ? Sans doute pas pour mes beaux yeux. Avant d’imaginer les raisons de Bayrou, je vais revenir sur notre entretien du matin et l’invitation elle-même.

Au siège de l’UDF

En préparation de mon prochain livre, je rencontre diverses personnalités politiques ou médiatiques. Lundi, j’ai discuté avec Daniel Schneidermann puis avec Loïc Le Meur, mardi avec Éric Walter, responsable internet à l’UMP, hier matin avec François Bayrou et cet après-midi je rencontre le sénateur Alain Lambert. La semaine dernière, j’ai passé deux heures au téléphone avec l’eurodéputé Vert Alain Lipietz, j’ai échangé des mails avec le socialiste Alain Rousset et j’ai préparé d’autres rencontres.

Je ne suis pas en train d’écrire un livre d’entretiens mais un essai au sujet du cinquième pouvoir. Le cinquième pouvoir, c’est nous, les citoyens fédérés par les nouvelles technologies. Nous sommes en train de réinventer la démocratie et je veux savoir ce qu’en pensent les politiciens. À leurs yeux, le cinquième pouvoir existe-t-il ? Va-t-il peser dans la vie politique ? N’est-il pas une chimère né dans la tête de quelques technophiles dont je suis ?

Avec ces questions en tête, j’arrive donc hier matin rue de l’Université au siège de l’UDF. Il se trouve en face des bureaux de MSN. Ça m’a amusé. Le pouvoir traditionnel face au promoteur d’un des outils phare du cinquième pouvoir. Est-ce un signe ?

J’ai traversé une cour, franchi un portail, puis une seconde cour ensoleillée avant d’entrer dans l’immeuble coquet de l’UDF. La réceptionniste m’a demandé de monter au second, l’assistante de Bayrou m’a installé dans un fauteuil, j’ai rêvassé quelques minutes. Une réunion se préparait. Tout le monde se pressait devant la machine à café. J’avais l’impression d’être dans une entreprise comme une autre. La politique est-elle une entreprise comme une autre ?

Bayrou est enfin sorti, il m’a serré la main, s’est éloigné un moment puis nous sommes entrés dans son bureau tapissé de livres. Je lui ai expliqué qui j’étais et pourquoi je voulais le rencontrer. Il a commencé par me parler de l’émergence du peuple d’internet. « C’est un peuple qui accède à toute l’information. » et « C’est un peuple créatif et coopératif. Je considère que les logiciels libres et les wikis sont deux choses fantastiques pour l’humanité. »

Tout ça, c’est évident pour moi. Bayrou le sait. Mais il sait aussi que c’est important que je l’entende, que j’entende qu’il appartient lui-même à ce peuple d’internet, peuple que j’appelle Le peuple des connecteurs car il dépasse de loin le cadre d’internet.

Bayrou a dit une chose essentielle, je crois. « Tu as une chanson, j’ai une chanson, nous l’échangeons, nous avons deux chansons. » J’ai traduit en disant que c’était une stratégie gagnant-gagnant (oubliant le côté scabreux que peut avoir une tel exemple pour l’industrie du disque).

Je crois que Bayrou a saisi cette nouveauté fondamentale. Nous ne sommes plus dans une logique où l’un perd et l’autre gagne mais où tout le monde gagne. Si nous n’adoptons pas cette stratégie, nous ne nous en tirerons pas en tant qu’espèce sur notre planète.

C’est simple, il me semble. Ce discours doit être repris par tous les politiciens. Il dépasse la droite et la gauche, il les transcende. « Tout ça va changer le monde, a dit Bayrou. Je suis absolument pénétré de cette idée. »

L’entretien s’est poursuivi, j’ai bientôt fini par parler autant que Bayrou et nous avons comparé nos points de vue. Tout ce que Bayrou m’a dit sur internet ma convaincu qu’il savait intimement de quoi il parlait. C’est un utilisateur averti. Il pratique depuis des années et, comme nous tous, il s’est fait peu à peu contaminé par la philosophie internet, l’esprit open source notamment.

Je trouve ça fondamental pour un futur candidat à la Présidence. J’aimerais que tous possèdent cette compréhension intime. J’aimerais que l’usage d’internet et sa maîtrise aient contribué à changer leur vision du monde et donc leurs façons de faire de la politique. J’ai presque envie de dire peu importe comment ils mettront en application leurs nouvelles idées, l’important est qu’elles aient germé en eux. Je crois que c’est le cas chez Bayrou. J’aimerais discuter, avec la même liberté, du même sujet avec ses adversaires.

Comme la veille avec Éric Walter à l’UMP, nous avons aussi parlé stratégie web et marketing viral. Bayrou m’a entraîné vers une salle de réunion pour pouvoir m’expliquer sa vision sur un tableau. La salle était occupée. Pendant que Bayrou s’excusait auprès de ses collègues, l’idée de l’inviter à la soirée blogs et politique m’est venue.

L’invitation

Après coup, je peux essayer de comprendre pourquoi j’ai fait ça. En mai dernier, avec Loïc Le Meur, nous nous sommes demandés ce que nous pouvions faire pour agir. Nous étions fatigués de dire que la France est un pays de merde. Nous n’avions pas envie de fuir une nouvelle fois à l’étranger pour nous extraire de la morosité. Il était temps d’agir. Comme nous avons découvert une façon de vivre qui nous paraît plus harmonieuse que celle que nous avons pu connaître par le passé, nous nous sommes dit que nous devions partager nos recettes.

Loïc a choisi la stratégie droit au but. Pour changer les choses, il faut avoir le pouvoir. Le plus simple est de se rapprocher d’un des favoris à la course au pouvoir et d’essayer de changer les choses de l’intérieur. Pour ma part, je crois qu’il faut agir de l’extérieur, sur de nouvelles bases, je crois que le véritable pouvoir appartient déjà au cinquième pouvoir.

Loïc est d’accord avec moi mais veut des résultats tout de suite. Nous avons parlé de ça lundi autour d’un verre. Il pense que mon approche peut marcher mais dans dix ans et il juge qu’il y a urgence. Sur ce point, il a raison. Je suis toutefois persuadé que nous ne pouvons pas changer le monde en usant des méthodes qui ont plongé le monde dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui (perturbations climatiques, pauvreté, malaise généralisé…). Il faut innover, en politique comme dans le business. Loïc joue le cheval favori, je joue les outsiders. Il pousse dans la direction attendue, j’essaie avec mes petits moyens de pousser d’autres voix.

En me retrouvant un instant seul devant la photocopieuse du siège de l’UDF, je me suis dit qu’inviter Bayrou à notre soirée blogs et politique allait dans le bon sens. C’était une façon de mettre en avant une autre voix, surtout de lui donner un autre éclairage.

Au final, je me suis planté. Toutes la presse était là aussi. Personne n’a pu parler de rien. Bayrou s’est retrouvé non entre les mains du cinquième pouvoir mais entre celles du bon vieux quatrième pouvoir envers lequel il est si critique en ce moment. Et je me suis éclipsé pour refaire le monde entre blogueurs. Parlant d’une l’idée qui m’était venue le matin même et qui me paraissait plus importante que tout battage médiatique.

Alors pourquoi Bayrou est-il venu ?

Je peux essayer maintenant de répondre à cette question en inventoriant des hypothèses que vous allez sans doute multiplier avec plaisir.

1/ Bayrou appartient effectivement au peuple des connecteurs. Pour lui notre société passe de la pyramide au réseau, la connexion est fondamentale, non seulement avec les sympathisants mais avec toutes les énergies de bonne volonté. Venir à la soirée, c’est établir de nouvelles connexions. Il s’est présenté au Pavillon Baltard près de la Bourse de commerce pour les mêmes raisons que chacun d’entre nous.

2/ Le cinquième pouvoir existe et n’est pas une illusion. Mon offre était celle d’un membre anonyme d’une puissance face à un représentant d’une autre puissance. Une sorte d’invitation aux pourparlers. Bayrou ne pouvait pas refuser, il ne pouvait pas manquer cette chance.

3/ Bayrou se doutait que les médias seraient là. Nous autres blogueurs politiques sommes depuis quelque temps l’attraction. Personne ne sait trop s’il faut ou non nous prendre au sérieux mais on vient nous voir, un peu comme au zoo.

4/ Bayrou a compris l’essence du marketing viral. Il sait qu’en venant, nous parlerons de lui, que son geste sera interprété sans fin. Et chaque billet dans les blogs, positif ou négatif, sera une graine qui ne demandera qu’à devenir un arbre. Plutôt que de s’imposer à tous les Français par le haut, une possibilité unique se présente dans l’histoire de s’imposer par le bas.

5/ Bayrou est un opportuniste et il n’y a pas de petite opportunité (et moi aussi je suis un opportuniste). Mais le simple fait qu’être invité à une soirée blog devienne une opportunité, c’est une victoire en soi pour le cinquième pouvoir.

Une chose est sûre. Après mon invitation, Bayrou n’a pas tergiversé. Sa réponse a été franche et spontanée. Il n’a pas calculé. Comment aurait-il pu le faire car il ne savait même pas que se déroulait cette réunion ? Bayrou est venu parce qu’il fallait venir, parce que comme il me la dit « Tout ça va changer le monde. »

Lors de la prochaine réunion, je renouvellerai l’expérience si Versac l’organisateur en accepte l’idée. Je viendrais avec un invité mais cette fois nous n’en parlerons à personne. Ce sera une surprise, une exclusivité du cinquième pouvoir. Avis aux volontaires.

PS1 : J’use de l’énonciation parce que l’objectivité n’a aucun sens. Derrière leur « on », les journalistes nous bourrent le mou. Au moins s’ils disaient « je » nous saurions ce qu’ils pensent. Quand je dis « je », je ne me cache pas.

PS2 : Je n’avais pas anticipé la présence de la TV, je croyais qu’on discuterait et qu’on pourrait semer nos petites graines comme j’ai essayé de le faire en discutant avec Bayrou le matin. Les journalistes ont pourri la soirée. Mais l’important c’est d’avoir établi une connexion, à nous maintenant de la faire fructifier, celle là comme toutes les autres.