La complexité ni ne se contrôle ni se commande. La société humaine étant complexe, elle obéit aux mêmes règles que les autres systèmes complexes. Trois méthodes politiques me paraissent alors possibles.

Dictature. Puisque la complexité pose problème, on tente de la réduire, ce qui commence par une limitation des libertés, notamment la liberté pour les individus d’interagir. Plus nos sociétés se complexifieront, plus séduisante sera la dictature pour les gouvernants qui veulent que le monde se conforme à leur vision. Voilà pourquoi, partout dans le monde, au cœur des démocraties, les penchants autoritaristes se multiplient.

Hypocrisie. Pour les tenants de cette ligne, la complexité est une illusion, ils la nient, ils font comme si elle n’existait pas et tentent de persuader les citoyens que la société est contrôlable, qu’elle peut se plier à la volonté d’une élite. L’hypocrisie me paraît encore plus dangereuse que la dictature car elle ne cherche même pas à régler les problèmes et se spécialise dans la poudre aux yeux et la démagogie.

Utopie. Puisqu’on ne peut pas contrôler, puisqu’on ne sait pas comment passer d’un état (le chômage) à un état souhaité (le plein emploi), on fait confiance à l’ingéniosité individuelle et à la responsabilité. En tant que politicien, on ne contrôle plus, on ne commande plus, on n’impose plus des solutions, on donne des impulsions, on porte des projets, on incite… et surtout on fait confiance aux hommes.

J’aimerais que nos politiciens, que nos partis, se positionnent par rapport à cette grille de lecture schématique. À mon sens, seule la voie utopique est aujourd’hui envisageable. La société a besoin d’une direction et non d’un manuel pour atteindre la destination.

Notes

  1. Un être humain est un système complexe. Il ne se contrôle pas de l’extérieur sans une acceptation de l’être lui-même. L’être ne se contrôle pas, il s’auto-organise. La différence me paraît fondamentale.
  2. L’absence de contrôle n’est pas synonyme d’anarchie puisque l’auto-organisation est possible. C’est la forme d’organisation la plus repandue dans la nature comme dans les sociétés humaines.
  3. L’auto-organisation a besoin de règles pour opérer. Dans la nature, les règles résultent des mécanismes évolutifs. Les hommes ont le pouvoir d’imaginer arbitrairement des règles et de les essayer. En ce sens, nous dépassons la nature (elle nous a donné les moyens de la transcender).
  4. Pour essayer de nouvelles règles, il est toujours plus prudent de les essayer à petite échelle. Par exemple pour le CPE, Villepin aurait dû choisir un département pilote, ou même plusieurs départements avec des variantes de CPE. Les ingénieurs adoptent toujours cette méthode. On ne déploie pas directement les nouvelles technologies sur tout le territoire. On les propage peu à peu, ce qui permet de changer de direction en cours de route et d’apprendre en faisant.
  5. Une règle peut prendre la forme d’une loi, par exemple la fin de la peine de mort ou l’autorisation de l’avortement. Ces règles sont de l’ordre du projet, elles donnent une direction à la société, elles définissent une façon de vivre ensemble. Elles sont souhaitables et même indispensables pour fédérer une communauté et lui offrir du rêve.
  6. Une règle peut prendre la forme d’une mesure, le CPE par exemple. Ces règles qui influencent immédiatement la société, qui la façonnent, sans lui dire où aller doivent toujours être mises en œuvre au niveau local et généralisées seulement après avoir démontré leur pertinence et après avoir fait des émules.