Quand je mets le droit de vote en question certains commentateurs disent que je suis immoral sous prétexte que des gens sont morts pour gagner ce droit. Des gens sont aussi morts pour abattre les tours du World Trade Center. Faut-il juger d’une chose à l’aune du prix du sang ?
Non. Il y a des choses qui marchent un temps puis qui ne marchent plus. C’est le cas du vote. Il est temps de rénover cette vieille invention poussiéreuse. Cette rénovation ne passera pas à coup de gadgets, genre machine à voter, carte d’électeur électronique ou vote à distance. Tous ces machins sont imaginés par des gens qui manquent d’imagination.
En général, nous voulons plaquer Internet sur ce qui existe plutôt que tirer ce qui existe vers Internet. Les deux approches ne sont pas inconciliables. Beaucoup de gens se spécialisent dans la première, ils plaquent l’électronique sur le vote, moi je me consacre à la seconde. Internet va non seulement moderniser la société que nous connaissons, il va aussi nous aider à inventer une nouvelle société. Dans cette société, que j’espère ultradémocratique, le vote ne sera peut-être qu’un vieux souvenir.
Que le vote soit électronique ou non, j’ai l’impression qu’il possède deux principaux intérêts.
- Périodique. Il empêche les hommes de se maintenir longtemps au pouvoir (mais pas les partis). D’une certaine façon, il nous fait vivre dans des dictatures éphémère (quoi que la dictature des énarques en France…).
- Source de débats. À chaque élection, il nous pousse à mettre des idées et des projets sur la table et à les discuter. Il nous force à nous intéresser, au moins un tout petit peu, aux idées adverses.
Mais les avantages du vote, il doit en posséder d’autres, ne peuvent pas nous faire oublier ses désavantages.
- Majoritaire. Il laisse toujours une grande partie de la population insatisfaite parce qu’elle n’est pas représentée.
- Non consensuel. Puisque c’est le plus grand nombre qui l’emporte.
- Hypocrite. Quand les élus ont le plus grand nombre de leur côté, ils risquent moins d’être chahuté par l’opposition.
- Populiste. Il se range à l’avis de la majorité, comme si cette majorité avait une quelconque légitimité.
- Déresponsabilisant. On vote rarement et, entre temps, on délègue sa responsabilité aux élus.
- Élitiste. Dans la logique de l’âge industriel, il suppose que les élus sont capables de manager les électeurs. Il se fonde sur le vieux modèle monarchiste selon lequel il faut un roi avisé pour commander au peuple. C’est une idée reçue que je ne cesse de combattre.
- Achetable. On ne peut voter que pour ceux qui se présentent et se présenter n’est pas ouvert à tous (signatures, barrages des partis…). Le vote a transformé la noblesse de cour en une noblesse de parti.
Après ce constat, pour nous en sortir, je vois une première solution de replâtrage : la proportionnelle. Dans la tête de nos constituants, il faut un pouvoir fort. Mais un pouvoir fort est faible dans un monde complexe dominé par la diversité. Il faut donc pousser les tendances adverses à collaborer. Le gouvernement serait composé à la proportionnelle en fonction des suffrages reçus. L’union nationale serait obligatoire. Cette mesure technique ne lève pas tous les défauts du vote mais en aplanit bon nombre. On peut lui adjoindre une part de tirage au sort pour le choix des hommes au sein d’un parti, afin de briser encore le système élitiste.
Je pense toutefois que la démocratie, pour survivre, doit emprunter le chemin de la participation. Si voter, c’est participer, participer, ce n’est pas nécessairement voter. Wikipedia est un superbe exemple de modèle participatif ou personne ne vote pour quoi que ce soit.
Il existe un autre modèle : slashdot.org, le journal citoyen où, au contraire, on vote sur tout à tout bout de champ. Quand on vote aussi souvent, le vote n’a plus beaucoup de rapport avec le vote démocratique que nous connaissons. C’est un vote à la romaine : j’aime, j’aime pas. Il en résulte que ce que nous aimons est plus visible que ce que nous n’aimons pas.
C’est un vote de jugement de ce qui a été fait.
Nous touchons là, sans doute, la différence fondamentale entre la participation version Internet et le vote version démocratique. Sur Internet, nous faisons les choses sans aucune légitimité, puis nous en discutons, nous votons éventuellement pour qu’elles soient plus ou moins visibles, surtout nous les utilisons et les consultons si elles nous intéressent, ce faisant nous les légitimons.
La participation a priori est une utopie.
Il faut que des gens se mouillent, proposent des solutions, puis que d’autres gens les critiquent et surenchérissent. C’est cela la participation. On ne participe pas sur du vent.
Dans nos démocraties, nous discutons a priori. Après le vote, nous nous désintéressons de ce qui se passe. Le vote nous permet de choisir entre des projets mais pas d’influer sur leur mise en œuvre, sous prétexte que les élus sont plus compétents que nous et qu’ils n’ont plus besoin de nous une fois notre confiance accordée.
Mais quel rapport entre les compétences électorales et les compétences de terrain ? Nous votons pour des personnalités qui savent se faire élire et non pour des personnalités qui savent mettre en œuvre des projets. Nous n’avons aucune garantie que des hommes qui possèdent les unes possèdent aussi les autres.
Demain, j’enchaîne avec une proposition...