Le 12 septembre dernier, suite à un de mes billets, Isabelle me suggère de lire Ayerdhal. Je ne le connaissais pas. J’ai 2 000 livres de SF à la maison mais, depuis vingt ans, je me suis détourné du genre, n’y revenant que pour lire un peu de Bordage, de Gibson et quelques récits de fantasy dont je tairai les noms. J’ai alors demandé à Isabelle par quel livre je pouvais commencer.

Sans attendre sa réponse, j’ai essayé de dénicher le mail d’Ayerdhal sur le web. Quand on me parle d’un auteur que je ne connais pas, réflexe connecteur, j’essaie de lui écrire. Mais je n’ai pas eu le temps de le faire. Ayerdhal venait de me répondre sur le blog, me conseillant quelques-uns de ses livres.

Je raconte cette anecdote parce que ce jour là, il s’est passé quelque chose qui me paraît symboliser la nouvelle société que nous sommes en train de construire sans qu’ILS s’en rendent compte. En quelques minutes, j’ai découvert l’existence d’un nouvel auteur, nous sommes entrés en contact, puis j’ai commandé tous ses livres.

Le monde est définitivement en train de s’aplatir. Notre connexion s’est établie en direct, par l’intermédiaire d’Isabelle, sans emprunter les voies hiérarchiques traditionnelles. Tous les jours, nous sommes des millions à créer ainsi des raccourcis dans la structure sociale mondiale. Sans nous en rendre nécessairement compte, nous construisons un nouveau monde qui ne pourra pas fonctionner comme l’ancien.

Quelques jours après ma rencontre virtuelle avec Ayerdhal, j’ai commencé à recevoir ses livres. J’ai lu Chronique d’un rêve enclavé, puis la Logique des essaims. J’ai été frappé par la justesse du ton. C’est rare en SF. Il n’y avait pas un mot en trop. Puis j’ai reçu la nouvelle édition de Demain, une oasis. Alors j’ai compris qu’Ayerdhal était un grand écrivain et aussi un visionnaire.

En 1992, ce livre était de la SF. Aujourd’hui, il est d’une terrible actualité. Demain, il sera un classique. Les enfants de l’avenir l’étudieront à l’école. On le leur présentera en leur disant qu’à la fin du XXe des gens savaient… pour l’hyper-capitalisme, pour les dérèglements climatiques, pour l’égoïsme occidental… pour tout le reste.

En même temps que je lisais, je pensais souvent à Houellebecq. Ayerdhal et lui font raisonner en moi les mêmes cordes mais Ayerdhal est dans la lumière alors que Houellebecq ne cesse de s’assombrir, et, plus il s’assombrit, plus il s’éloigne vers le passé.

Comme la bouteille jetée à la mer par Blogospherus, j’aimerais lancer à la mer Demain, une oasis, j’aimerais qu’il s’échoue sur des plages bondées de centaines de blogueurs, qu’ils le lisent tous, qu’ils en parlent tous, qu’ils prouvent à nos jurés Goncourt et autres manitous littéraires qu’en 1992 ils sont passés à côté du chef-d’œuvre de ces dernière années.

Je ne suis sans doute déjà plus objectif. Vendredi soir, j’ai croisé Ayerdhal, nous avons un peu papoté, je l’ai écouté parler de son travail et de ses idées. Isabelle avait raison : c’est un pur connecteur dans l’âme.

Si vous ne le connaissez pas, j’espère que vous l’aimerez.

PS : Hier soir, j’ai vu Une partie de campagne de Raimond Depardon, reportage indispensable pour qui s’intéresse même de loin à la politique. Sur le DVD, il y avait un autre reportage : Ian Palach. Je l’ai regardé comme ça, sans savoir de quoi il s’agissait, je me demande encore si j’ai respiré durant les 12 minutes qui ont suivi.

Le 19 janvier 1969, à Prague, Ian Palach s’immole sur la place Venceslas pour protester contre l’occupation soviétique. Raymond Depardon vient assister à ses obsèques. Je ne crois pas avoir déjà vu des images aussi fortes. Soudain, la ville s’arrête pour une minute de silence interminable. Noir, rouge, grisaille hivernale, yeux extatiques des Pragois. Une énergie tellurique traverse les foules, l’énergie pure de l’espèce humaine, la même énergie qui habite Demain, une oasis.

Nous ne pouvons pas laisser faire n’importe quoi.

Nous n’avons pas le droit de nous laisser faire.

Ian Palach nous le cria au prix de sa vie.