Hier dans un commentaire j’ai écrit :

Tu peux rester dans l’ancien monde… nous autres habitons déjà ce nouveau monde… et nous le trouvons plus agréable à vivre. Personne n’est forcé de nous rejoindre, les gens le feront à leur rythme quand ils seront prêts.

Quand je me lance dans ce genre d’envolée lyrique, emporté par l’enthousiasme, on m’accuse parfois d’être le gourou d’une secte – même quand j’essaie d’être très sérieux d’ailleurs… être sérieux je ne sais pas trop ce que ça veut dire car je suis persuadé que nous vivons pour nous amuser.

Cette accusation à l’emporte pièce doit quelque peu énerver Miguel Membrado et Bruno de Beauregard, en leur temps aussi accusés d’être membres  d’une secte, au point d’être ruinés (je raconte dans Le cinquième pouvoir). C’était pour eux beaucoup moins amusant. Heureusement, je n’ai pas pour clients la DST et les RG… peut-être qu’ils me lisent un peu. Alors j’essaie de ne rien leur cacher. Ça existe la secte de la transparence ?

Tout d’abord, je revendique ce que j’ai écrit dans ce commentaire, même si ça peut paraître ampoulé ou ridicule – j’aime Hermann Hesse et son style initiatique. Il est toujours plus difficile de proposer quelque chose de mieux que de casser comme la plupart des gens le font.

Plaçons-nous au temps où l’esclavage était chose admise et même chose banale. Il y avait alors des gens qui refusaient de faire travailler des esclaves, qui essayaient de démontrer qu’un monde sans esclaves était possible… Certains de ces antiesclavagistes dirent sans doute comme moi que ce nouveau monde était plus agréable à vivre.

Ces antiesclavagistes appartenaient-ils à une secte ? Je ne le pense pas. En leur temps, ils étaient utopistes, naïfs… tout ce que l’on voudra mais ils ne constituaient pas une secte, pas plus que les gens qui aujourd’hui pensent que la rémunération du capital n’est pas une obligation, que les chefs ne sont pas indispensables et que la croissance matérielle ne peut continuer infiniment dans un monde fini.

Par rapport aux antiesclavagistes, je suis même beaucoup plus tolérant. Vous n’allez pas le croire. Je ne force personne à adopter de nouvelles formes d’organisation sociale. Je parie simplement que sans de nouvelles formes, pour une large part à inventer, nous ne réussirons pas à faire face aux problèmes sociaux et écologiques. J’essaie de proposer des pistes, en m’inspirant de l’organisation d’internet et de la plupart des réseaux naturels. C’est tout. Je ne suis pas très original.

Ces nouvelles formes peuvent germer dans l’ancien monde. Internet en est la preuve. Dee Hock l’a montré avec Visa. Nous ne sommes pas forcés de détruire l’ancien monde. Le nouveau apparaît au-dessus de lui, comme une extension. Chacun peut faire l’upgrade quand il le veut. Je n’ai cessé de parler de révolution douce dans Le peuple des connecteurs.

Certains ont vu les chapitre de ce livre comme les dix commandements de la connexion, oubliant de lire semble-t-il la préface où j’annonçais mon désir d’exagérer afin de mieux montrer en quoi ma position diffère du politiquement correct qui risque de nous conduire à la faillite (l’exagération, c’est mon style… je n’y peux rien mais j’ai essayé de me contenir dans Le cinquième pouvoir).

Est-ce sectaire de prétendre que nous allons dans le mur ? Je ne suis pas le seul à faire ce constat, la plupart des personnalités politiques le font, ce qui justifie leur candidature. Est-ce sectaire de dire qu’il faut innover pour trouver des solutions durables ? Est-ce sectaire de rêver de croissance durable ? Car je pense que c’est possible.

Pour qu’il y ait secte, il faut qu’il y ait des membres. Mais les connecteurs seraient membres de quoi ? Ils ne forment pas un parti, une église, un groupuscule… Il n’y a rien de tout cela, pas plus que de status, de doctrine, d’interdits (Axel regarde la TV), de règles, de lieux de rassemblement… Le connecteur n’existe même pas. C’est une entité sociologique… un ensemble de comportements possibles dont personne ne peut se revendiquer à 100 % pas plus qu’à 0 %. Tout au plus quelques personnes peuvent se sentir des affinités avec une partie des choses que j’ai décrites. Elles peuvent même s’afficher sur une carte, mais ça ne va pas plus loin.

Dans mon Robert, secte viendrait du latin secta qui signifierait suivre. Mais justement les connecteurs ne suivent personne car ils se revendiquent libres. Pour eux, l’interconnexion est plus importante qu’un status quelconque. La personne se définit par les personnes avec qui elle interagit, non pas en elle-même.

Être connecteur, c’est avant tout être ouvert. C’est utiliser les nouveaux outils de communication pour multiplier les possibilités. C’est construire des autoroutes pour les idées par-dessus les autoroutes de l’information.

L’important est que les idées se rencontrent, qu’elles s’entrechoquent, donnent naissance à de nouvelles idées… pour que justement jamais nous ne restions figés sur un dogme ou prisonnier d’une forme de pensée.

Les connecteurs forment une non secte. Je ne les ai pas inventés. J’ai donné un nom à un ensemble hétéroclite de comportements qui me paraissent prégnants chez de nombreux usagers des nouvelles technologies.

Donner un nom à des comportements ne fait pas des gens qui exhibent ces comportements les membres d’une secte. Montrer du doigt les racistes et les xénophobes ne fait pas d’eux les membres de la secte de Le Pen.

Les connecteurs participent à des réseaux qui s’interconnectent à vaste échelle. C’est tout, j’ai envie de dire. Et c’est beaucoup, car c’est révolutionnaire.

Nous commençons par construire les autoroutes. Après nous allons commencer à construire. Faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Trop de politiciens jouent à ce petit jeu. Ils veulent tout changer sans méthode. Ou plutôt avec les vieilles méthodes qui ne marchent plus. Je suis pour l’action mais pas à n’importe quel prix. Ça c’est une petite pique à l’égard de Rachid Nekkaz.

Le monde a changé. Nous devons nous changer aussi. Sinon la dichotomie risque de devenir invivable.