Le cinquième pouvoir sera mis à l’épreuve durant les mois à venir. Nous allons découvrir s’il sait se tenir et éviter de sombrer dans le dénigrement. Nous allons aussi découvrir s’il a une petite influence en politique française. Pour cela, le plus simple serait qu’il réussisse à pousser son candidat1, un candidat qui saurait l’entendre, le comprendre et tenir compte de ses idées – et au-delà d’elles, pas toujours exprimées consciemment, de sa logique de fonctionnement : le réseau.

L’UMP et le PS essaieront de séduire le cinquième pouvoir mais ils n’iront pas jusqu’à lui donner la main, car ils veulent garder le contrôle, un peu comme avec Nicolas Hulot (ils prennent ses idées et le remercient).

Le cinquième pouvoir entre en scène pour durer et s’affirmer. Personne ne l’utilisera pour le jeter en suite. Il n’y a aucune raison pour que quelques uns, pas plus brillants que tous les autres et sous prétexte qu’ils passent bien à la TV, commandent à tous.

Il faut donc chercher hors des deux candidats vedettes à la présidentielle 2007 ceux qui sauront matérialiser l’inconscient et les aspirations du cinquième pouvoir. Je vois quelques candidats possibles : François Bayrou, José Bové, Édouard Fillias, Corinne Lepage, Rachid Nekkaz…

Les nouveaux venus comme Fillias et Nekkaz ne peuvent compter que sur internet pour émerger. C’est aussi le cas pour Lepage qui, malgré sa notoriété, doit batailler pour maintenir la tête hors de l’eau. Pour Bayrou, la situation diffère : c’est celui pour qui la majorité des Français voterait après leur favori. Si j’étais à sa place, si je voulais vraiment gagner la présidentielle 2007, voici ce que je ferais.

Acte 1

Je commence par créer un électrochoc et faire un signe fort aux Français. Je me retire de l’UDF, coupant avec le passé centriste, la position le cul entre deux chaises. Je refuse de m’inscrire dans un parti, me place au-dessus des partis, je crée un mouvement (ne pas dire réseau mais c’est de cela qu’il s’agit) dont je suis le porte-parole pendant quelque temps mais dans lequel je n’ai pas plus de pouvoir que n’importe quel Français, car pas besoin d’être membre de quoi que ce soit pour en être, il suffit de le vouloir. Je m’affirme comme un rassembleur et démontre que la gauche et la droite sont de vieilles appellations qu’il est temps de dépasser2.

Acte 2

Je reprends le slogan d’Howard Dean : « Vous êtes le pouvoir » et j’affirme que je mettrai en œuvre la politique voulue par les Français. Mon but sera de profiter de l’intelligence collective et non d’imposer mes vues, forcément étriquées, à 60 millions de personnes. Il faut être fou pour croire savoir ce qui est bon pour autant de gens. Il faut être fou pour faire croire connaître une solution à un problème qui n’est même pas clairement identifié. En gros, je demande à chacun des Français de se mettre debout et de marcher à nouveau. Je fais donc de la collaboration la clé de voûte de ma politique, une collaboration généralisée.

Acte 3

Le gouvernement, les assemblées, les municipalités, toutes les institutions, doivent représenter tous les Français. J’introduis donc un principe de proportionnalité intégrale. Plus d’idées seront représentées, plus il y aura de débats, de mises à plat et de rencontres, donc le surgissement d’idées nouvelles. En faisant cela, je scie la branche sur laquelle les partis sont confortablement assis, maintenant le pays dans un mode monarchiste où une caste se réserve le pouvoir. La proportionnelle qui empêche un pouvoir fort ne peut fonctionner que dans une société ouverte au dialogue. Le dialogue est la première étape à la collaboration, la vraie solution à la solidarité. L’État doit être au service des citoyens non pas là pour se substituer à eux.

Acte 4

Je fais du développement durable le projet de mon mandat. Je veux que nous nous mettions tous ensemble au travail dans la même direction, faire de la France un exemple pour le monde. Laissons la croissance effrénée à la Chine, consacrons-nous à ce qui a toujours été pour nous le plus important « l’art de vivre ». Bien vivre, ça implique un pays agréable, respectueux de l’environnement, qui mise à fond sur les nouvelles technologies qui nous éloignent chaque jour d’avantage de l’âge industriel… ça implique en même temps, un goût immodéré pour le terroir, les choses simples et bonnes… l’harmonie en deux mots. Il est temps d’admettre que la croissance matérielle ne peut pas être une finalité en soi.

C’est un plan de campagne tout simple. Je produis un électrochoc puis je martèle trois idées : collaboration, proportionnelle, développement durable… De chacun de ces points l’ensemble d’un programme politique peut être logiquement induit (la politique extérieure par exemple… car qui dit durable implique dialogue avec la planète dans son ensemble).

François Bayrou est-il assez fou pour se lancer dans un tel projet qui soulèverait l’enthousiasme de beaucoup de Français ? Est-il prêt à lâcher un vieux bateau qui ne l’amènera jamais à bon port ? Est-il prêt à embarquer dans le monde des réseaux ? Les jours à venir nous le dirons… car il y a maintenant urgence, soit un signe est fait rapidement, soit il ne se passera rien.

Mais pas tout à fait : pendant que la campagne rabâchera de vieilles idées éculées, le cinquième pouvoir continuera son travail de fond, la construction d’un nouveau monde. Mes quatre actes ont pour ambition de nous approcher plus vite de ce monde qui adviendra quoi qu’il arrive. La France aurait beaucoup à gagner en y affirmant sa position en premier, renouant avec son esprit révolutionnaire.

1 Pousser un candidat est en soi antinomique avec l’idée d’un cinquième pouvoir forcément pluriel. Mais, à l’approche des élections, on peut jouer le jeu ce qui n’empêche pas de travailler à un projet de fond, d’une portée historique bien plus significative. Pour moi, l’intérêt d’une élection est seulement de provoquer le débat, il faut profiter de l’occasion. Si personne ne défend les idées nouvelles, ce sera tout simplement déprimant.

2 Je prends le risque de me couper des financements traditionnels des partis, démontrant en même temps ce que le système a de pervers. Je prends le risque de gagner pour changer les choses.