C’est possible mais pour s’en convaincre il faut faire un détour par Rajsamadhiya, province de Gujarat, en Inde. Dans ce village, il pleut beaucoup lors des moussons, malheureusement la plupart de cette eau s’évapore avant d’atteindre les rivières.
Pour irriguer leurs champs, les paysans pompent l’eau des nappes phréatiques. Chaque année, leurs petits moteurs électriques, souvent financés par les organisations internationales et gouvernementales, ramènent à la surface deux fois plus d’eau qu’il n’en tombe sur les terrains. En conséquence, les nappes s’épuisent peu à peu. D’ici une dizaine d’années, beaucoup risquent de se retrouver asséchées.
Partout en Inde, dans des villages comme Rajsamadhiya, plus de 21 millions de paysans puisent l’eau des réserves fossiles vieilles de plusieurs millénaires. La catastrophe humanitaire semble inévitable. Les paysans sont en train d’hypothéquer l’avenir de leurs enfants, sinon le leur.
D’après certaines estimations, un dixième de l’agriculture mondiale dépend de l’eau pompée en sous-sol et non renouvelée par les pluies. Sans le savoir, les pays riches importent des produits cultivés à l’aide des réserves fossiles – coton du Pakistan, riz de Thaïlande, tomates d’Israël, sucre d’Australie. (source New Scientist)
Nous devons réagir, d’autant plus que cette situation se répète partout dans le monde. Mais qui est ce « nous » souvent invoqué ? Vous, moi, nos gouvernements, l’ONU ? Nous tous sans aucun doute mais, parmi nous, certains sont plus compétents que d’autres, je pense aux habitants de Rajsamadhiya eux-mêmes.
L’émergence du cinquième pouvoir
Alors que le gouvernement indien semblait impuissant, incapable de contrôler les ventes de pompes électriques ou imaginant d’invraisemblables titanesques projets d’irrigation, distribuant en attendant l’eau par camion citerne, Haradevsinh Hadeja, un policier à la retraire, trouva à la fin des années 1990 une solution : capturer l’eau de la mousson.
Il imagina un réseau de mares se déversant les unes dans les autres pour ralentir l’écoulement de l’eau de pluie, la laissant pénétrer le sol et remplir les puits. Avec l’aide de photos satellites fournies par un scientifique, il repéra des fissures par lesquelles l’eau s’échappait et les colmata avec du béton. Depuis, le village de Rajsamadhiya est devenu l’un des plus verdoyants d’Inde et les pompes électriques n’y ont plus d’utilité.
Un seul homme, volontaire, courageux, qui sut motiver ses concitoyens, résolut un problème face auquel le gouvernement était impuissant. Plutôt que d’attendre une solution hypothétique venant d’en haut, il rassembla les forces locales et, avec l’inventivité de tous, la collaboration de tous, en s’appuyant sur l’intelligence collective, il sauva son village et peut-être le monde.
Aujourd’hui, la méthode imaginée par Haradevsinh Hadeja fait des émules. Elle se propage de village en village, en Inde, mais aussi par delà les frontières, gagnant l’Afrique notamment. Par devers les pouvoirs locaux comme gouvernementaux, le peuple prend son destin en main et résout les problèmes que les organisations hiérarchisées sont incapables de considérer avec pragmatisme.
Voici le cinquième pouvoir en action. Il naît en local avant de se généraliser de proche en proche. Internet lui donne des moyens de communiquer et d’échanger, il lui donne les moyens de passer de l’échelle locale à l’échelle globale. Par le passé, ces processus étaient longs et aléatoires. S’ils restent toujours incertains, leurs chances de succès viennent d’être démultipliées.
De l’eau à la politique
À l’époque des réseaux, quand une solution marche, elle se propage de proche en proche. Elle n’a pas besoin d’être émise par le haut, diffusée par les médias dominants et appuyée par le pouvoir en place. Elle passe de personne à personne, de main en main, d’oreille à oreille. La solution peut être purement pratique comme celle imaginée en Inde pour juguler la crise de l’eau mais elle peut aussi être d’ordre politique.
En France, François Bayrou était un outsider insignifiant jusqu’à ce que, en septembre 2006, il s’en prenne aux médias et à leur volonté d’imposer le duel Ségo-Sarko à la présidentielle 2007. Tout comme Haradevsinh Hadeja en Inde, il sema alors une graine dans quelques esprits, notamment chez quelques internautes qui s’empressèrent de le soutenir.
La graine germa, prospéra, donna naissance à de belles plantations. Dans les cafés, on commença à se dire : « Et s’il n’y avait pas que Ségo et Sarko ? Et s’il y avait une autre possibilité ? »
Après tout, l’UMP est au pouvoir, Sarko est au pouvoir et il ne fait pas des miracles en ce moment. Beaucoup de gens de droite, libéraux dans l’âme, n’aiment pas Sarko qui prône le libéralisme économique d’une main et l’État policier de l’autre, deux politiques dans une large mesure inconciliables.
De son côté, Ségo après des mois de débats participatifs a accouché du même programme que Lionel Jospin en 2002, concession évidente aux traditionnalistes du PS, mêmes traditionnalistes qui ont tenu le pouvoir il n’y a pas si longtemps sans faire de miracles.
Donc, peu à peu, l’idée qu’il serait temps d’essayer autre chose a germé dans l’esprit des Français et François Bayrou est venu naturellement incarner le renouveau enfin possible. En prônant l’union nationale, il veut réconcilier les deux France, celle de gauche et celle de droite.
Cette idée il ne l’a pas imposée, il l’a juste semée. Le cinquième pouvoir s’en est emparé, il l’a diffusée lentement. Aujourd’hui, elle remonte par percolation comme l’eau dans une cafetière, elle finit par atteindre la surface, et les Ségo-Sarko comme les médias ne peuvent plus l’ignorer. Alors ils la répètent, la consolident. Mais elle n’est pas née grâce à eux, elle n’a pas été calculée par eux mais par le cinquième pouvoir lui-même.
Chacun de nous a ainsi un pouvoir immense : celui d’influencer ses amis… amis qui grâce à internet peuvent se trouver à l’autre bout du monde, amis que nous n’avons même pas besoin de connaître. Tout commence au niveau local, tout commence par un ancrage profond. Sur ce substrat solide, à partir d’une multitude de ports d’attache, le buzz va se nourrir. Ainsi, le cinquième pouvoir ne décide pas du sort d’une élection mais il peut, à force d’échanges, faire émerger une tendance qui s’auto-renforce jusqu’à devenir effective.
Je crois que nous sommes en train d’assister à ce processus en France. Je crois que Bayrou, presque malgré lui, se retrouve peu à peu porté par une force née en profondeur, dans les nappes phréatiques les plus viscérales de la société.
Cette force est en train d’atteindre sa maturité. À François Bayrou de l’irriguer maintenant et de ne pas en décevoir les attentes comme vient de le faire Ségolène Royal avec la génération participation. Il y a du travail, un immense travail, à commencer par celui de proposer un vrai programme alternatif que nous attendons encore. Pour le moment, une dynamique positive est à l’œuvre. Il serait bête de ne pas le reconnaître, bête pour François Bayrou de ne pas voir le tas d’or sur lequel il est assis.