« Non, non, nous n’avons aucune influence » disent quelques blogueurs, dont souvent Versac, notamment dans ce papier (lisez ce papier et surtout les commentaires). Est-ce par excès de modestie ou pour prendre le contre-pied de la mode à tout prix ?

J’ai l’impression de les entendre crier : « Nous n’existons pas, ne nous lisez surtout pas, nous écrivons pour tuer l’ennui, nous sommes des fous… » Ce n’est pas crédible deux secondes, pas plus qu’un journaliste qui se voudrait objectif et non influent.

Si nous écrivons sur nos blogs, c’est parce que nous sommes persuadés que nous pouvons influencer, non seulement les hommes politiques mais l’avenir tout entier. Je ne vais pas faire preuve d’humilité déplacée et dire que je fais tout ce que je fais juste pour faire plaisir à quelques lecteurs, qui seraient coupés du reste du monde.

Justement, mes quelques lecteurs sont des gens ordinaires, des gens qui parlent avec leur famille, avec leurs amis… Il y a même parmi eux des journalistes qui, consciemment ou non, sont parfois influencés. Et quand ils écrivent ou parlent à leur tour, ils influencent des gens qui ne me connaissent pas et, peut-être, que je ne connaîtrais jamais.

J’en ai marre de ces blogueurs politiques qui ne cessent de dire que les blogs n’ont pas d’influence (c’est presque méprisant pour leurs lecteurs). Je me demande pourquoi ils bloguent politique. Je me demande pourquoi ils croient que les journalistes leur donnent la parole. Ce n’est pas pour leurs beaux yeux, ni pour leur prose magnifique, ni pour leurs analyses sublimes… c’est juste parce qu’ils émergent au sommet de la blogosphère et que les médias traditionnels, par souci de concision, doivent bien se focaliser sur quelques figures symboliques.

Oui, vous n’avez aucune influence, vous les blogueurs un peu à la mode, et moi avec vous, mais les dizaines de milliers d’autres blogueurs ont de l’influence, et même beaucoup, et pas seulement les blogueurs, mais tous les citoyens qui propagent l’information, l’analysent, la déforment, l’utilisent… que ce soit sur internet ou au café du coin.

L’important n’est pas ce qui se dit ou s’écrit ici ou là mais ce qui se passe entre. Les choses importantes prennent consistance dans le lien. Sur les blogs, les commentaires sont plus importants que les articles car ils manifestent les liens qui unissent et croisent des communautés.

Du masculin au féminin

À la fin du peuple des connecteurs, je disais que nous entrions dans l’âge des qualités après avoir quitté celui des quantités propre à l’âge industriel. Il faut bien intégrer ce point si on veut comprendre ce qui se passe aujourd’hui, si on veut comprendre les phénomènes viraux qui échappent à nombre de mesures quantitatives, notamment aux bons vieux sondages.

Je rappelle que Google, par exemple, n’a prospéré que par le bouche-à-oreille. C’est un pur fruit du buzz comme la plupart des autres services internet. En 2002, Terry Semel, le nouveau parton de Yahoo, qui venait d’Hollywood, ne l’avait pas compris. Les études voyaient encore Google tout petit mais il était déjà grand dans l’esprit de ses utilisateurs. Cette grandeur n’était pas mesurable suivant les critères traditionnels mais elle n’en existait pas moins comme Yahoo ne cesse de le mesurer depuis à ses dépends.

Ce n’est pas parce qu’une chose ne se mesure pas quantitativement qu’elle n’existe pas. À l’âge des qualités, les quantités comptent de moins en moins. Voilà pourquoi les médias top down seront de moins en moins efficaces, parce que par nature ils sont quantitatifs : pour eux, c’est l’audience qui importe.

Le coming-out de Bayrou

Certes, il sera impossible de démontrer si la blogosphère a aidé ou non Bayrou dans son ascension. Dans Le cinquième pouvoir, j’essaie de montrer pourquoi dans le chapitre sur la bataille de Borodino. J’y explique justement la différence entre le quantitatif et le qualitatif. La différence entre la prévisibilité et l’imprévisibilité. J’y explique pourquoi, heureusement, l’avenir n’est pas écrit (pas plus que le passé peut être décrypté de manière déterministe).

Consacrer du temps à dire que nous n’avons pas de preuve de l’influence du cinquième pourvoir, c’est une perte de temps car c’est une évidence. Maintenant nous ne devons pas oublier que nous avons des lecteurs, que nous avons avec eux des échanges de qualité et non de quantité, et que de ce fait nous avons une influence. Quelle soit minime n’a aucune importance. Dans une réaction en chaîne, la taille de l’étincelle initiale n’a aucune conséquence.

Peut-être que pour mettre fin à ce débat au sujet de Bayrou faut-il demander à Bayrou lui-même de se prononcer. « Avez-vous oui ou non été influencé par la blogosphère ? Par nos articles et nos rencontres de l’automne dernier, n’avons-nous pas contribué à vous donner du courage, à vous donner une nouvelle base sur laquelle vous vous appuyez maintenant ? Peut-être même avons-nous glissé quelques idées dans votre esprit. »

À l’âge des qualités, c’est aux hommes de s’expliquer et d’exprimer leur ressenti. Notre cerveau, totalement irrationnel, reste le meilleur instrument pour mesurer ce qui échappe aux sondages. Heureusement !

Alors, oui, je demande à Bayrou de nous donner son éclairage sur cette affaire. Elle ne nous révèlera pas la vérité mais mettra plus de qualité dans ce que nous faisons.

Ce n’est pas internet ou les médias qui feront la prochaine élection présidentielle mais chacun des hommes libres de ce pays, c’est eux, tous ensemble, qui forment le cinquième pouvoir.

Et si Bayrou ne répond pas, ou n’entend même pas cette question, ce sera peut-être la preuve que nous n’avons effectivement aucune influence… sur lui mais ça ne nous empêchera pas de façonner le monde de demain.

Article aussi publié sur Agoravox.