Hier soir, j’étais invité au grand débat d’Europe 1. Il y avait autour de la table six politiciens et quatre représentants de la société civile. C’est la seconde fois que je participe à cette émission et j’ai encore une fois éprouvé une grande frustration. Les politiciens accaparent le temps de parole (très restreint quand on est dix autour d’une table), c’est leur spécialité, pour réciter leur leçon. Ces hommes sont des machines décérébrées (j’explique pourquoi plus loin).

Avec condescendance, Devedjian m’a dit que je ne représentais personne. J’ai essayé en vain de lui expliquer que nous avions le droit, et même le devoir, de nous représenter nous-même. En gros, et même plus qu’en gros, je n’ai pas besoin de lui. Et j’espère que nous aurons de moins en moins besoin de personnage comme lui. Les gens de son espèce ne veulent surtout pas d’un cinquième pouvoir.

Mais ce débat de la représentativité était annexe. Au cours de la discussion sur les candidatures à la présidentielle et les parrainages, j’ai senti combien les grands partis s’entendent pour ne surtout pas remettre en cause le système qui les a vu accéder au pouvoir (et se le partager par alternance récupérant au passage les subventions finançant leur situation). Dans le studio, la connivence était palpable. Elle a d’ailleurs frappé Gérard Schivardi étranger au parisianisme politique.

Le socialiste Jean-Marc Ayrault parlait d’un quota de 5% aux précédentes élections pour avoir droit de se présenter aux suivantes. Oui, c’est ça, comme ça les nouvelles forces politiques n’auront jamais l’occasion d’exister (et nous en resterons à l’affligeante opposition droite-gauche).

Quand j’ai dit que Rachid Nekkaz avait réussi à obtenir ses signatures, Devedjian m’a dit que ce n’était pas normal que Nekkaz, qu’il ne connaissait manifestement pas, réussisse là où Le Pen échouait. Selon Devedjian, propos tenus en off, Nekkaz n’aurait pas le droit de se présenter sous prétexte qu’il est inconnu. Tiens, ça ne vous rappelle pas l’ancien régime.

Dans notre démocratie, si vous voulez être connu en politique, il faut entrer dans les partis connus, escalader un à un les échelons… C’est la règle fixée par ces messieurs. Mais alors que faire si leurs idées ne vous plaisent pas ? Que doivent faire les Français insatisfaits par le système que ces Messieurs ont construit ? La révolution ?

Quand j’entends parler nos politiciens installés, accrochés à leurs branches, je ne vois malheureusement plus beaucoup d’autres solutions. Ils ne veulent surtout pas de la multiplication des candidatures pour une raison : la clarté des débats. En vérité, ils craignent la dispersion des voix et, surtout, l’émergence d’une concurrence nouvelle (et d’idées qui pourraient s’avérer plus profondes que les leurs).

Les journalistes sont complices de cette situation car la polyphonie politique complique leur travail. Aucun n’a l’envergure d’un Tolstoï pour mettre en scène des centaines de personnalités. Pourtant, c’est ainsi que se fabrique l’histoire, par l’œuvre de millions d’hommes libres.

Nous assistons à un holdup démocratique et ces Messieurs trouvent ça normal. Quand vous leur dites, qu’il est inacceptable que les hommes au pouvoir fixent les règles du pouvoir. Ils trouvent ça normal, ils affirment qu’il n’y a pas d’autre solution. Décidément ils manquent d’imagination. En off, j’ai essayé d’évoquer les modèles participatif avec Devedjian. Il m’a ri au nez : Wikipedia c’est un détail, un gadget. Il se pourrait bien que ce genre de gadget lui pète bientôt à la figure.

Devedjian a fini par me traiter de fada, tant mes arguments lui paraissaient surréalistes, surtout l’évocation d’une assemblée constituante citoyenne (pourquoi pas tirée au sort comme le suggère Étienne Chouard). Après une attaque ad hominem, il n’y a en rhétorique qu’une possibilité, le coup de poing. Ce n’est plus dans mon tempérament depuis très longtemps alors je me tais car il ne sert à rien de discuter avec ces personnages. C’est à nous, de l’extérieur, de faire changer le système jusqu’à ce que ces Messieurs finissent par découvrir leur aveuglement historique.

Je crois que le système des grands partis est à la source d’une part des maux de notre société. Ce système favorise l’émergence des conformistes. Les citoyens de conviction, qui ont des idées originales, qui ne trouvent pas la place dans les partis, sont alors exclus de la politique. Ceux qui acceptent de jouer le jeu entrent dans le moule. Ils remisent leur originalité ou n’en ont même jamais démontré. Voilà pourquoi nous assistons à des débats séniles et que les programmes de nos candidats sont aussi affligeants les uns que les autres. Il faut regarder en marge pour essayer de pêcher un peu de vitalité, vitalité souvent ternie par une trop longue collaboration avec les grands partis dorénavant combattus.

Après Europe 1, je suis allé rejoindre l’équipe de Karl Zéro au Club de l’étoile. Avec Quitterie Delmas et Valerio Motta, nous avons interviewé José Bové. Quitterie et Valério n’ont pu s’empêcher de faire de la propagande pour leur parti, achevant de me déprimer. Heureusement, quelques échanges ultérieurs avec Bové m’ont redonné du courage. Il y a des flammes allumées de-ci-de-là, il faut maintenant souffler dessus pour les aviver car si elles paraissent antinomiques, comme altermondialisme et libéralisme, ce n’est qu’en apparence. Nous pouvons, si nous y croyons, inventer quelque chose de neuf.

J’ai proposé à Bové qu’après la farce présidentielle, les véritables forces de ce pays se rencontrent et essaient d’imaginer l’avenir.