Nous nous sommes croisés par ondes interposées lors d’un Téléphone sonne de France Inter et, quand on m’a annoncé que nous allions nous retrouver à débattre dans les Fnac (ce soir à Montpellier), je me suis dit que ça ferait des étincelles.

Avant de taper fanatiquement sur Thierry Vedel, je suis allé acheter son livre. J’ai commencé par lire l’avant-dernier chapitre où il parle d’internet et où, surprise, je l’ai trouvé bien moins négatif que quand je l’ai entendu à la radio.

Vedel ne dit pas qu’internet n’a aucun rôle en politique mais peu de rôle aujourd’hui. Il fait partie de ceux qui disent que, dans la campagne actuelle, il n’aura pas plus d’influence que les Guignols de l’info. Pour Vedel, internet ne sera pas décisif avant l’horizon 2020 (je me demande ce qu’il pense de la partie historique du cinquième pouvoir).

Notre plus grand désaccord semble donc être sur l’échéance temporelle. Je pense qu’internet est déjà très influent et qu’il sera décisif en 2012 (et sans doute dès 2008 dans bien des communes lors des municipales – type d’élection plus propices au cinquième pouvoir qui s’exprime avant tout à l’échelle locale). À cette époque, en 2012, le paysage médiatique n’aura plus aucun rapport avec celui que nous connaissons.

Pourquoi ? Parce que le marché publicitaire aura massivement basculé sur le net et que les télés n’auront plus pignon sur rue. En Angleterre, la dégringolade vient d’ailleurs de commencer. Alors que la part publicitaire d’internet vient de franchir les 10 %, celle des radios vient de tomber à 3,4 %, celle de la presse à 11,4 % (en gros égal à internet), celle de la télévision à 22,7 % (juste 2 fois plus qu’internet). C’est le début d’un processus irréversible et qui s’accélère.

Aujourd’hui, c’est sur internet qu’on gagne de l’argent. Pourquoi ? Parce que les citoyens passent de plus en plus de temps sur ce terrain (les Français passent en moyenne 5 heures sur internet contre 3 heures à lire la presse). C’est donc là que la politique aussi devra se faire, sans aucun doute plus que nulle part ailleurs.

Impuissance des études

En le lisant Vedel, je constate toutefois que certains détails lui échappent. Pour juger de l’importance d’internet, il s’appuie sur des études quantitatives, des études adaptées avant tout aux médias traditionnels. Aucune de ces études n’est capable, à ma connaissance, de mesurer le buzz.

Si Google avait attendu le résultat de telles études pour se lancer, Google n’existerait pas. Ça me fait penser aux critiques artistiques qui de tout temps, dans leur immense majorité, ont été incapables de deviner la modernité. Il leur manquait le prisme pour voir ce qui se passait de génial sous leurs yeux.

Quand des analystes demandent aux gens s’ils s’informent politiquement ou non sur internet, ça n’a pas beaucoup d’intérêt, car sur internet l’audience n’est pas prépondérante. Même un site qui reçoit des millions de visites n’est pas capable d’influencer comme une télévision car chacun des visiteurs va sur des pages différentes et consulte des informations différentes.

Quelle importance qu’ils soient 1 ou 5 millions à venir ? Pas beaucoup si les personnes qui s’informent sur internet sont influentes dans leur entourage. Or comme le rappelle plusieurs fois Vedel, les internautes qui s’intéressent à la politique sont souvent des gens instruits. Plutôt que de consommer l’information passivement, ils la dissèquent. Parfois ils la redistribuent sur leurs blogs mais, plus souvent, ils en parlent autour d’eux. C’est comme ça que j’explique la montée de Bayrou par devers le barrage initial des grands médias obligés maintenant de lui donner la parole.

Bayrou est d’ailleurs le premier à dire que plus rien n’est comme avant et à reconnaître le rôle du cinquième pouvoir dans son succès actuel. Et pour preuve, lui qui a partiellement compris la logique d’internet, n’a jamais été aussi haut dans les sondages. Encore une troublante coïncidence qu’on peut certes expliquer par d’autres voies – nous avons toujours cette capacité de produire des interprétations multiples. Mais comme aucune voie ne peut être démontrée la meilleure (je démontre ça dans Le peuple des connecteurs), la voie internet reste possible (en tout cas, elle compte).

Le scepticisme face à l’optimisme

Aujourd’hui, l’Internet est souvent perçu comme un vecteur susceptible de révolutionner la communication politique.

La tournure même de cette phrase de Vedel montre qu’il fait plus que douter. Pourtant, internet a déjà révolutionné la communication tout court. La plupart des boîtes à fort revenu ont totalement révisé leur plan média. À commencer par les mastodontes du web qui ne font jamais, ou presque, de pub dans les médias traditionnels. Mais il y a d’autres exemples : je pense à Lego ou Kitchen Aid.

Il serait alors bien étonnant qu’internet ne révolutionne pas la communication politique. Et s’il ne le fait pas plus, c’est parce que nos politiciens sont ringards, qu’il ne font pas confiance à cet outil, peut-être parce que l’ultra-démocratie leur fait peur.

Pour jouer avec internet, je crois qu’il faut être soi-même familier des nouvelles modalités de communication. Aussi bien Sarkozy que Ségolène sont des nuls dans ce domaine. Il ne suffit pas de s’entourer de bons conseillers pour que ça marche.

Je crois d’ailleurs qu’internet joue un rôle capital en politique, dès à présent, parce qu’il oblige peu à peu les internautes à penser différemment. Cet effet insidieux de l’outil est tout simplement révolutionnaire et hautement politique. Le fait qu’internet existe suffit à changer la politique. Pour un historien, il serait sans doute intéressant de décrypter le glissement de paradigme qu’induit internet sans que personne ne s’en rende vraiment compte.

Internet n’est pas qu’un média

Je dis toujours qu’il est un territoire. C’est ceux qui ne le comprennent pas, ceux qui n’y ont pas plongé leurs mains, qui le réduisent à un média, ce que fais systématiquement Vedel.

Internet est avant tout un outil de connexion, un fédérateur de communauté. C’est un espace commercial, culturel, politique… C’est une nouvelle nation. Une nation où peut-être dans un avenir proche des IA se promèneront. Tout cela, Second Life par exemple, n’était pas possible avec les médias.

Il faut appréhender cette dimension pour mesurer l’influence politique d’internet, dimension qui échappe aux études actuelles.

Vedel voit les blogueurs populaires comme des leaders d’opinion. En faisant ça, il néglige les différents ingrédients d’un réseau (hubs, liens, réplicateurs…). Un blogueur peut aussi bien créer de l’info, des idées, des analyses que les relayer et les amplifier.

Vedel, à force de petites négligences, passe à côté de son sujet. Il manque une chance d’être un visionnaire. Pour lui :

L’Internet aura bien des effets en communication politique, mais ceux-ci seront lents, diffus et, probablement, contradictoires.

L’atterrissage va être dur pour tous ceux qui vont croire Vedel. Dans notre monde technologique, rien n’est lent, surtout pas l’évolution des modes de communication. L’erreur serait de demander aux citoyens de faire de la politique politicienne alors qu’internet leur offre la chance de faire de la politique au sens noble.

PS : Que je sois franc. Je ne me place pas du tout dans le même camp que Vedel. Je ne suis pas neutre. Je suis un connecteur, un militant du cybermonde. Je veux accélérer l’histoire, la pousser dans un sens, celui qui me fait rêver. Je suis sans doute maladroit mais je ne me contente pas de faire des constats. Les auteurs qui s’arrêtent là ne m’intéressent pas. J’aime ceux qui nous amènent vers demain, en réfléchissant ou en nous racontant des histoires. Et j’espère pour ma part réussir de plus en plus à unir leurs deux méthodes.