En 1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique. En mars 1519, Hernán Cortés débarque au Yucatan. En octobre, il arrive à Tenochtitlan, actuelle Mexico, capitale de l’empire Aztèque. Le 13 août 1521, il s’empare de la ville. En moins de 2 ans, 500 espagnols vont réduire à néant une civilisation de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Est-ce à cause du génie européen ? Non. L’empire aztèque était si centralisé qu’il suffit de lui couper la tête pour qu’il disparaisse. C’est en tout cas l’interprétation que proposent Ori Brafman et Rod A. Beckstrom dans The Starfish and the Spider. Pour eux, les Espagnols ne l’emportèrent pas grâce à leur armement ou à leur art de la guerre. La suite de l’histoire le prouve.

Après la conquête de Tenochtitlan, les Espagnols remontèrent vers le nord du Mexique, sans rencontrer d’adversaires à leur mesure. Chaque fois, ils tuaient les chefs et s’emparaient de l’or.

Un jour de 1680, ils entrèrent dans le territoire des Apaches, l’actuel Nouveau Mexique. Ils cherchèrent les chefs, ils ne les trouvèrent pas. Ils cherchèrent l’or, ils ne le trouvèrent pas. Alors ils tentèrent de réduire les Apaches en fermiers, la plupart s’enfuirent et entrèrent dans la résistance. Ils ne consentirent à la paix qu’au début du vingtième siècle !

Les Apaches résistèrent aux envahisseurs pendant plus de deux siècles. Face aux armées centralisées, ils opposèrent des structures en réseau. Ils n’avaient pas de chefs mais des Nant’an. En langue apache, une phrase commençant par « Vous devez » n’existe même pas. Quand le Nant’an veut faire quelque chose, il le fait. Ceux qui l’aiment le suivent. Il guide par l’exemple et non en donnant des ordres. Le Nant’an n’a aucune position hiérarchique. Qu’un Nant’an vienne à mourir, un autre Nant’an apparaît naturellement.

Jusqu’au début du vingtième siècle les Apaches restèrent libres. Ce n’est qu’en 1914 qu’ils furent définitivement soumis. L’armée américaine offrit aux Nant’an du bétail. En conséquence, ils devinrent plus riches que les autres Apaches, qui furent ainsi assujettis en quelque sorte.

Ori Brafman et Rod A. Beckstrom montrent ainsi que, pour vaincre une structure décentralisée, il faut soit la centraliser, soit se décentraliser soi-même. Avec les Apaches, nous découvrons une nouvelle fois que vivre dans une société pyramidale n’est pas une fatalité (à ce sujet lisez le billet de Jesrad).

L’histoire semble prouver toutefois que les civilisations centralisées sont les plus prospères. Je ne le crois pas. Il faudrait déjà commencer par définir la prospérité ; et se demander si la prospérité matérielle s’accompagne d’une prospérité spirituelle. D’autre part, on doit pouvoir défendre la thèse qu’une civilisation prospère tant qu’elle est décentralisée.

La Russie se développa en partie grâce aux Cosaques, hommes libres par excellence, et elle succomba avec le communisme.

Rome suivit le même cycle avant de crouler sous le poids de l’administration. Depuis deux siècles, les États-Unis se centralisent de plus en plus. Et si la Chine connaît son actuel boom économique n’est-ce pas aussi parce que la centralisation y atteint l’impuissance ultime au point qu’elle s’effondre virtuellement. Je connais mal la Chine pour développer cette idée. Mais je suis persuadé que la décentralisation, donc la responsabilisation individuelle, reste vitale pour le développement.