En 2003, j’ai décidé de développer une plate-forme de blogs, bonblog.com. J’ai alors commis l’erreur de demander aux auteurs de publier chez moi. Plutôt que de leur permettre de créer chez eux leur site avec ma technologie, je voulais qu’ils viennent chez moi, m’apporter leur temps. Ce fut un échec, j’ai finis par transformer bonblog.com en un annuaire de flux (j’en reparlerai car je travaille à une nouvelle version plus sexy).
Tous les services qui ont cherché à centraliser l’expérience utilisateurs se sont plus ou moins plantés sur le web, en tout cas ils n’ont pas connu une croissance exponentielle.
- Compuserve et toutes les solutions de navigation propriétaires ont périclité parce qu’elles ne permettaient d’accéder qu’à des sites compatibles. Le web n’est pas un centre commercial où on enferme les clients dans un espace délimité par des caisses enregistreuses.
- Les portails comme Spray à la fin des années 1990 ont fait banqueroute parce qu’ils ont voulu garder les internautes chez eux pour accroître leur revenu publicitaire. Google comprit qu’il valait mieux être un point de passage.
- OhmyNews, le journal qui inventa le journalisme citoyen en 2000, piétine car il demande aux auteurs de venir publier chez lui, puis il sélectionne les articles grâce à un comité éditorial. OhmyNews souffre de la concurrence des blogs et des auteurs indépendants. La version internationale n’a jamais décollé. Les clones étrangers n’ont jamais connu le même succès. Les versions électroniques des médias traditionnels, reposant sur un modèle encore plus centralisé, ne tirent leur épingle du jeu qu’à cause de leur lectorat traditionnel. Ils cherchent d’ailleurs à se décentraliser en ouvrant des plates-formes de blogs maison.
En revanche, la décentralisation est gage de succès.
- Google laisse les éditeurs créer leurs sites où ils le souhaitent sur le web et il nous aide à les trouver. Google dispose d’une base de données centrale mais pour nous aider à partir ailleurs le plus vite possible.
- eBay propose une salle d’enchères centralisée mais pour que les vendeurs et les acheteurs fassent leurs affaires entre eux, beaucoup créant d’ailleurs des sites pour faire la promotion de leurs produits. La plate-forme est centralisée mais les utilisateurs en font ce qu’ils veulent.
- MySpace et de nombreuses plates-formes de blogs comme WordPress laissent carte-blanche aux utilisateurs qui créent leur contenu et l’exploitent à leur façon. Le service central offre la technologie et renforce la communauté en créant des liens transversaux.
- Flickr, Youtube, Daillymotion… centralisent les vidéos ou les images mais proposent à tous les blogueurs de les repiquer et de les publier sur leur propre site. L’audience sur les sites parents n’a pas beaucoup d’importance. Par ailleurs, tous ces sites sont ouverts aux mashup... mon préféré moo.com.
- Amazon décentralise en offrant aux lecteurs la possibilité de noter les produits, de les commenter, de créer des listes de produits favoris… c’est une façon de décentraliser l’expérience utilisateur dans un business a priori centralisé. Il est même maintenant possible de créer des boutiques concurrentes d’Amazon avec Amazon.
La voie du succès sur le web est donc de donner aux utilisateurs des outils pour faire ce qu’ils souhaitent… peut-être même ce dont ils rêvent. Il ne faut pas les enfermer dans un cadre mais laisser toutes les portes ouvertes.
Par exemple, Flickr n’a pas proposé de classer les photos dans des catégories préétablies mais a inventé le système des tags. Chaque nouveau tag devenait un nouvel album. Les utilisateurs devenaient les maîtres du jeu.
Certaines technologies P2P comme eMule vont beaucoup plus loin en décentralisant totalement l’expérience utilisateur au point qu’il n’existe plus rien de centralisé. Nous ne savons même pas qui développe eMule !
Quand la décentralisation atteint ce stade, elle échappe au modèle capitaliste car l’entrepreneur n’a plus aucun moyen de gagner de l’argent. Les services web à succès s’efforcent donc de décentraliser au maximum l’expérience utilisateur tout en conservant un point central de circulation grâce auquel ils peuvent monnayer leur service.
Pour réussir sur le web, il faut maximiser la décentralisation jusqu’à frôler la rupture. Dans un face-à-face, la solution la plus décentralisée l’emporte car elle offre plus de possibilités en libérant la créativité des utilisateurs.
La décentralisation jusqu’au point de rupture restera prédominante tant que des solutions totalement décentralisées ne trouveront pas un chemin vers la rentabilité. C’est sans doute seulement à ce moment que nous renonceront à la centralisation trop souvent inefficace.