Au début internet a connecté des machines (du filaire au sans fil), puis des informations avant de connecter des hommes. Je voudrais revenir sur les deux dernières étapes.

Connexion des informations

  1. Liens À partir de 1992, les éditeurs de pages web ont commencé à lier leurs informations avec celles proposées par d’autres éditeurs.
  2. Annuaires Très vite les pages jaunes du web apparaissent, avec Yahoo notamment en 1994. Les auteurs des annuaires ne créent plus des informations mais lient entre elles des informations existantes. Ils nous aident à les retrouver. Nous entrons déjà dans l’ère du metaweb.
  3. Robots Plutôt que de référencer les sites manuellement comme sur les annuaires, des logiciels créent les liens. En 1995, c’est le début d’Altavista. Google se lance trois ans plus tard. Les algorithmes ont beau devenir de plus en plus complexes, s’appuyant sur des cartographies multidimensionnelles du web, ils n’apportent conceptuellement rien de plus que les annuaires (l’exhaustivité se paie par un manque de pertinence).
  4. Folksonomies Il faut attendre 2003 pour découvrir du neuf avec del.icio.us. Plutôt que des robots logiciels pas souvent pertinents, les utilisateurs eux-mêmes classent les sites à l’aide de tags. Nous en revenons au concept d’annuaire mais, plutôt qu’une petite équipe effectue le référencement, des milliers, voire des millions d’utilisateurs, prennent en charge ce travail. Ainsi débute l’histoire du web 2.0. Par ailleurs, les folksonomies ne reposent pas sur des bases de données hiérarchisées, ce qui était le cas de tous les annuaires. Les liens sont sémantiques sans ordre hiérarchique, tout juste si certains prennent plus de poids parce qu’ils sont activés plus souvent.

J’ai participé à cette histoire en tant qu’observateur, un peu en tant qu’acteur. En 1996, j’ai collaboré trois mois au projet Europe Online qui se voulait le premier portail européen sur le modèle Yahoo. Déjà les investisseurs jetaient des millions d’euro par les fenêtres.

Puis en 1998, j’ai créé bonWeb dans le but de référencer manuellement les meilleurs sites. Le service avait pour fonction principale de tenir à jour la base de données qui nous permettait de créer le livre correspondant. Je travaillais sur ce projet en dilettante, lui consacrant le moins de temps possible… Je me dédiais à la littérature, je n’étais pas dans la peau d’un entrepreneur.

Aujourd’hui, les choses ont évolué. Avec Le peuple des connecteurs et Le cinquième pouvoir, j’ai réussi à relier ma passion pour la technologie avec ma passion pour l’écriture. J’ai compris que nous vivions une époque de convergence où plus rien ne peut être séparé, idée que j’ai développée dans Ératosthène.

Tout en faisant évoluer bonWeb vers la folksonomie, les tags étant créés dynamiquement lorsque les utilisateurs lancent des recherches et visitent des sites, je songe maintenant à créer un nouveau service qui s’inscrirait dans l’histoire décrite ci-dessus, notamment dans sa phase 4 et pourquoi pas 5 (dont je n’ai aucune idée). Mais cette histoire est incomplète car, sur internet, à côté des informations, il y a des hommes.

Connexion des individus

  1. Messageries Tout commence avec les mails qui nous permirent d’entrer en relation numérique. Même si les premiers mails ont circulé dès la fin des années 1960, le mail ne se popularise qu’au début des années 1990, notamment grâce à CompuServe. En échangeant sans cesse des messages, les amis et les collègues de travail resserrent leur communauté.
  2. Messageries instantanées Avec ICQ en 1996, nous découvrons le chat one-to-one. Comme le mail était la version électronique du courrier, ICQ devient une sorte de téléphone par écrit. Au fil de la journée, nous pouvons discuter avec nos amis comme s’ils étaient à côté de nous. Nous ne sommes plus jamais seuls. Le SMS apporte la mobilité au chat.
  3. Réseaux sociaux Après le one-to-one du chat nous passons au many-to-many. Nous savons ce que font nos amis et ils savent ce que font nos amis. Nous sommes encore moins seuls. Ces services explosent en 2007 : Facebook (inscrivez-vous et connectez-vous à moi), Twitter, Dodgeball… Tous ces services connaissent un succès grandissant car, en nous connectant, ils nous aident à prendre conscience des autres, ils sont la clé-de-voûte d’une nouvelle forme de conscience. Il ne faut surtout pas croire qu’ils sont des gadgets pour adolescents.

D’un côté, nous avons donc les folksonomies, d’un autre, les réseaux sociaux. D’une certaine façon, la connexion des informations rejoint celle des hommes, l’une entraîne l’autre et vice-versa.

Si donc je crée une nouvelle société, elle devra aussi s’inscrire dans la phase 3 voire 4 de la connexion interindividuelle. Il faut trouver des services aussi simples à utiliser que Twitter. C’est un défi, c’est pas gagné mais j’ai une petite idée…

Notes

  1. Les blogueurs comme les journalistes citoyens d’Agoravox participent à l’étape 1 de la connexion d’informations. Ils créent des informations et les lient à d’autres informations. Comme leurs informations peuvent être commentées, les commentateurs forment peu à peu des communautés, mais très informelles par rapport à ce que nous trouvons sur Facebook.
  2. Les annuaires ont tenté d’imposer un ordre hiérarchique à un web qui lui est topologique. C’était une aberration. Le web ne peut être classé que par une structure de même nature que lui. D’une certaine façon, il se classe lui-même grâce à la folksonomie.