Quand on a le pouvoir, on en veut toujours plus. Irrémédiablement les entreprises comme les États se centralisent. Rome après avoir prospéré grâce à la liberté qui régnait sur ses frontières se sclérosa peu à peu. Internet ne risque-t-il pas de suivre le même chemin ?

Au début, encore aujourd’hui d’une certaine façon, le web était décentralisé. Chacun pouvait ouvrir son site à l’aide de technologies open source, HTML entre autres, et les visiteurs pouvaient passer de site en site librement.

Tous les portails qui tentèrent de garder pour eux leurs visiteurs firent banqueroute, MSN 1.0 en tête. Au contraire, on gagnait en jouant l’ouverture. Les blogs prospérèrent ainsi parce qu’ils se liaient entre eux, sans la moindre retenue. On n’avait plus peur d’envoyer des visiteurs chez les autres, on jouait le gagnant-gagnant.

Mais cet état d’esprit n’est-il pas en train de changer, parfois sous le couvert même de l’ouverture ? Quelques exemples.

  1. YouTube, Dailymotion, Flickr… Ne publiez plus vos contenus chez vous, publiez-les chez nous. Au profit de cette centralisation, techniquement sans grand intérêt, nous allons gagner du fric sur votre dos (et avoir la capacité de vous censurer à volonté). Pourtant il suffirait de quelques logiciels open source installés chez tous les hébergeurs, logiciels qui existent déjà, pour que tout le monde puisse conserver la maîtrise de ses contenus. Par ailleurs, la ventilation des contenus règlerait automatiquement les problèmes de bande passante.
  2. Second Life Plutôt que de créer un site web en 3D avec une technologie de type VRML, allez le créer sur une plate-forme propriétaire. C’est ouvert on vous dit, vous êtes libre d’y faire ce que vous voulez… oui, sauf que Second Life est le produit d’une entreprise ce que n’a jamais été le web. Avec Second Life, on vous enferme dans un univers, on vous met sous le joug d’un pouvoir central.
  3. Twitter N’écrivez plus sur votre blog mais sur les mini-blogs de Twitter. Mais pourquoi ne pas ajouter aux blogs existant des fonctions de twitterisation ? C’est possible, c’est simple, c’est décentralisé.
  4. Facebook, Dodgeball… Pourquoi aller sur ces plates-formes pour se décrire et lister ses amis ? On pourrait très bien imaginer de se décrire sur son site personnel, avec un format open source, et se linker tout simplement avec les amis qui feraient de même.
  5. Google Pourquoi centraliser la cartographie du web dans d’immenses datacenters qui consomment plus d’énergie que des villes de 100 000 habitants ? Encore une fois pour maîtriser l’information créée par les autres. Il y a pourtant d’autres pistes : la recherche partagée en P2P.

Je pourrais presque étendre cette liste à tous les succès du web 2.0. L’ouverture n’étant pas profitable, car les gains sont distribués, on en revient à l’hypercentralisation pour monnayer les services. Au passage, on risque de tuer internet tel que nous l’avons connu à ses débuts, on risque de tuer la liberté.

Sur ce nouveau web qui s’invente, il faut être gros ou crever. Il n’y a plus de place pour les petits sites. Certes ils peuvent toujours exister mais à quoi bon si personne ne les voit, si les usagers eux-mêmes les délaissent au profit des monstres centralisés.

Si nous voulons conserver notre liberté numérique, nous devons à tout prix favoriser la communication horizontale et éviter de nous enfermer dans des standards propriétaires.

Subsiste un espoir : les API. Au fond d’eux-mêmes, les entrepreneurs du web restent ouverts. Ils proposent d’interfacer leurs services avec d’autres services sur le modèle des mashups. Ils savent que le progrès ne passe que par un remix permanent des technologies existantes.

Malheureusement la plupart des API sont bridées. Pour les débrider, il faut négocier des accords commerciaux. Encore une fois, cette notion de l’ancien monde n’existait pas sur le web des origines. Peu à peu des verrous se mettent en place, des verrous que seuls quelques privilégiés peuvent faire sauter.

Nous sommes donc en train de célébrer internet 2.0 alors que nous assistons en fait à une régression conceptuelle. Si nous n’y prenons garde, le vieux monde avalera internet dans son giron. Il est urgent d’inventer un moyen de valoriser la décentralisation. Nous avons la technologie, il nous faut inventer le modèle économique qui va avec… et non pas tout ramener à l’ancien modèle comme le font si bien les entrepreneurs de la Silicon Valley.