Une année vient de se terminer, une autre commence, c’est l’occasion des vœux. Les miens passent par un chemin détourné.

Lors de la discussion qui a suivi mon article sur Michel Onfray, nous avons évoqué le changement radical qu’internet introduit dans le monde : l’horizontalité.

J’ai développé cette idée dans Le peuple des connecteurs, essayant de montrer que notre structure sociale était en train de se transformer. Le CV, le milieu, l’âge, l’origine… tout cela n’a plus beaucoup d’importance lorsque nous nous connectons. Nous construisons une société non hiérarchique, une société où tout le monde peut accéder à tout le monde.

Par exemple, quand nous bloguons, nous acceptons de dialoguer avec les lecteurs. Si une célébrité blogue, elle se doit de respecter cette règle. Si elle ne le fait pas, et beaucoup ne le font pas, pour ne pas dire la plupart, elle se décrédibilise aux yeux de la net génération, démontrant qu’elle ne considère le net que comme un simple media one to all.

Je reste persuadé que l’aplatissement hiérarchique est en marche. J’essaie d’y participer autant que possible. Chaque fois que j’écris au sujet de quelqu’un, je lui adresse un mail pour établir une connexion. Suivant que je m’adresse à un Américain ou un Français, je ne vis pas du tout la même expérience.

Les Américains, même célèbres, en tout cas dans l’univers qui m’intéresse, répondent presque systématiquement sous 24h. Ils posent des questions, nous échangeons des mails, nous promettant de nous rencontrer à l’occasion. J’ai par exemple ainsi discuté avec Gregory Chaitin, un des plus grands mathématiciens vivant ou avec Nassim Nicolas Taleb, l’auteur de The black Swans, un des bestsellers américains 2007.

Les Français, bien souvent, ne reçoivent pas mes messages. On dirait que l’adresse e-mail qu’ils indiquent sur leur site ne fonctionne pas. J’ai commencé par expérimenter cette forme d’autisme numérique avec Alain Juppé. Elle s’est répétée avec de nombreuses autres personnalités politiques, philosophiques ou artistiques, dernièrement donc avec Michel Onfray et Joann Sfar. Et peut-être que j’avais apprécié Bayrou juste parce que lui répondait immédiatement, en tous cas en 2006.

Le plus étonnant est que la notoriété n’implique pas l’autisme. Les Français inconnus du grand public ne répondent pas plus que les célébrités. J’ai l’impression que mes compatriotes sont sur la défensive. Toute personne qui les aborde, qui tente de connecter avec elle, est suspecte. « Qu’est-ce qu’il me veut ? Qu’est-ce qu’il cherche ? » On dirait que nous nous jugeons tous comme les dragueurs obséquieux qui hantent les terrasses des cafés.

Au contraire, les Américains partent avec un a priori favorable. Quand quelqu’un s’avance vers eux, ils voient des potentialités positives. C’est sans doute une question d’éducation. Elle explique en partie pourquoi les Américains sont plus entrepreneurs que les Français, aussi pourquoi ils mènent la danse sur internet. Leur société est déjà plus aplatie que la nôtre.

En 2008, j’aimerais donc que l’autisme numérique cesse en France et que nous acceptions de basculer dans la société des réseaux, pas seulement des réseaux numériques mais, surtout, dans celle des réseaux sociaux. En clair, j’aimerais que cette année nous répondions tous aux mails des inconnus pour peu que ces inconnus montrent qu’ils s’intéressent à nous, nous interpellent, nous donnent des idées…

Je reçois parfois des mails de gens qui me proposent une simple connexion. Que voulez-vous que je réponde dans ce cas ? Une connexion commence par un échange. « Tiens j’ai pensé ça. Tu te trompes en disant ça. Tu devrais lire cet auteur. » Une connexion commence comme si elle s’inscrivait déjà dans une amitié de longue date. Elle n’est pas toujours fructueuse mais participe, dès son origine, à la nouvelle société du don que nous construisons.