Un article de presse doit être intelligible en lui-même. Il doit s’auto-suffire. Les choses qu’il ne définit pas doivent être connues de l’ensemble des lecteurs. Tous les journalistes s’appliquent cette règle, même ceux qui rédigent les communiqués de l’AFP ou de Reuters. Pour ma part, je me refuse à proposer une information digeste car à mon sens elle pose beaucoup de problèmes.

  1. Pour être compris universellement, un journaliste doit repréciser le cadre, placer des limites, définir… il doit se répéter d’article en article. Je trouve ça fastidieux, vous me direz que le job veut ça, mais je trouve ça encore plus fastidieux pour le lecteur qui perd beaucoup de temps à lire ce qu’il sait déjà. Pour cette seule raison, j’ai renoncé à lire la presse. L’idée que le lecteur ne sait rien a priori, très répandue depuis de longues années, me paraît néfaste à la qualité de la presse.
  2. Mais le lecteur sait des choses. Le journaliste suppose que nous savons ce dont tout le monde parle. Plus il traite de sujets à la mode, moins il a besoin de préciser le cadre, plus son travail est simplifié. Tenté par la facilité, il parle de plus en plus des sujets à la mode, sujets qui se renforcent les uns les autres… et les journalistes finissent par dire tous la même chose… tout ça parce qu’ils veulent diffuser une information digeste. Au final, elle devient si digeste qu’elle n’est plus une information mais seulement un rabâchage.
  3. Je voudrais maintenant opposer l’auteur au journaliste. L’auteur n’a pas le souci de l’intelligibilité immédiate. Il construit peu à peu un univers où il intègre lecteur après lecteur. Un auteur se pratique dans la durée, il ne se consomme pas. Accéder à son œuvre demande parfois un peu d’effort mais après nous pensons avec lui. Il m’arrive ainsi de dire par inadvertance « Flaubert m’a dit … ». Puis je dois me reprendre pour préciser « J’ai lu dans la correspondance que … ». En quelque sorte, Flaubert est devenu mon ami intime à force de le lire, ce qu’aucun journaliste ne sera jamais pour moi.
  4. J’aborde mon blog comme un auteur. Je ne cherche pas à écrire des billets autosuffisants parce que je suppose que mes lecteurs ont lu d’autres billets avant et qu’ils participent à l’histoire de ma pensée. Alors chaque fois qu’on me dit que je n’ai pas défini tel ou tel mot je m’irrite car j’ai déjà employé chacun des mots que j’emploie, je leur ai peu à peu donné un sens… un sens qui est peut-être le mien mais qui est en cohérence avec ma pensée. Si vous lisez une lettre et que vous découvrez que l’auteur a « pioché » le matin, vous penserez peut-être qu’il a travaillé dans son jardin. Si vous savez que cet auteur est Flaubert, vous commencerez à douter du sens de « pioché ». Si vous êtes familier de Flaubert, vous saurez exactement ce qu’il entend par « pioché ».
  5. Je ne dis pas qu’il faut que tous les journalistes deviennent des auteurs mais je crois que nous ne devons pas perdre l’habitude de lire les auteurs. Je n’ai jamais rien appris d’important en lisant les journalistes mais des auteurs ont changé ma vie. On ne change pas la vie de quelqu’un avec du digeste, du parfaitement défini, de l’objectivité, du sans ambiguïté.
  6. Les blogueurs peuvent chercher à imiter les journalistes, ils peuvent les commenter ou les critiquer mais, il peuvent aussi devenir des auteurs, construire au fil de leurs billets, courts ou longs, une histoire. Nous ne sommes pas condamnés à nous glisser dans des costumes taillés pour d’autres en un temps déjà éloigné.
  7. En Alexandrie, au IIIe siècle avant Jésus-Christ à l’époque d’Ératosthène, les écrivains se passionnèrent pour les textes brefs. Callimaque, le plus grand poète de son temps, affirmait « Grand livre, grand mal ». En sommes-nous au même point ? Je vois une analogie troublante. En Alexandrie, la science grecque connaissait son apogée en même temps que son art et sa philosophie périclitaient. Or une époque pour être pleine et entière ne doit négliger aucune de ses dimensions.