Les nouvelles technologies favorisent la décentralisation et la redistribution des pouvoirs. Ainsi émerge le cinquième pouvoir. J’ai jusqu’alors négligé la décentralisation du pouvoir militaire.

J’ai bien quelque fois évoqué Al-Qaïda comme exemple de réseau contre lequel les systèmes centralisés ne peuvent rien, sans pousser plus loin cette réflexion. En lisant Brave New War de John Robb, je prends conscience que le cinquième pouvoir n’est pas seulement médiatique, politique et économique, il est aussi militaire.

John Robb montre qu’un seul homme ou que de petits groupes peuvent à eux seuls mettre à genoux des grands groupes industriels (l’affaire Kerviel à la Société Générale en France) ou des États (l’attaque hacker contre l’Estonie). Nous sommes exactement dans un cas de figure propre au cinquième pouvoir : des individus seuls peuvent tout.

Plus la technologie progresse, plus elle se popularise, moins il y a de différence entre la technologie dont dispose les États et les individus. Ce processus me paraît irréversible. L’informatique jadis réservée à une élite de chercheurs est dorénavant entre nos mains. Chacun de nous dispose d’une fantastique puissance de simulation. Si les nanotechnologies tiennent leurs promesses, nous disposerons tous de la capacité de manipuler la matière. La génétique elle-même se popularisera.

Ainsi lorsque chacun de nous disposera d’une puissance créative maximale, le cinquième pouvoir atteindra son apogée. La globalisation sera un lointain souvenir car les grandes corporations n’auront plus d’avantage significatif par rapport aux individus. En revanche, les terroristes deviendront tout-puissants. John Robb affirme que ce phénomène est déjà à l’œuvre. Que les États tels que nous les connaissons, épiphénomène historique, vont disparaître. Tout système centralisé devient une cible trop tentante pour les activistes isolés.

Lorsque, comme en Irak, un groupe fait sauter un pipeline, il engendre des pertes économiques des millions de fois supérieures au coût de l’opération. Lors des attaques du 9/11, il s’est exactement produit le même phénomène : les États-Unis se lancent dans une guerre épuisante pour laver leur honneur, un honneur affecté à moindre coût par une poignée d’hommes.

This new method of warfare offers clear improvement (for our enemies) over traditional and military insurgency. It offers guerrillas the means to bring a modern nation’s economy to its knees and thereby undermine the legitimacy of the state sworn to protect it.

Pour Robb, les nouveaux guérilleros ne sont pas des terroristes car ils ne visent pas nécessairement la terreur mais la déstabilisation économique. Il parle de guérilla globale car les guérilleros n’en veulent pas à un État en particulier mais à des pratiques globales. Les gens qui ne seront pas heureux dans le monde pourront essayer de le changer par la force. Ils ont d’ailleurs déjà pris les armes. Le cinquième pouvoir a sans doute débuté son existence par la violence, bien avant de devenir une force médiatique ou économique.

Alors que je pense à tout ceci, je tombe sur une interview de Raphael Sagarin dans NewScientist où il est question de s’inspirer des systèmes biologiques pour améliorer nos systèmes de défense.

One clear lesson is that the species or systems that have been around the longest, adapted to many different environments and captured the most resources have a structure of fairly limited central control, with a lot of autonomy. […] It is in stark contrast to the most visible US response to the attacks of 9/11, which was to create this enormous Departement of Homeland Security. You can see the result: individual organization do not get enough autonomy and cannot make decisions in a timely manner. They cannot respond and adapt without having to go up through many layers of command. It’s more to do with keeping power, jobs and budgets than security.

Maintenant que nous ne pouvons plus ignorer la face guerrière du cinquième pouvoir, nous devons nous efforcer de développer la face pacifiste car les États eux ne nous protègeront pas. Ils ne sont plus adaptés au nouveau monde technologique qui est en train d’apparaître, un monde où chacun de nous est tout-puissant.