Un employé du syndicat d’initiative de Balaruc les Bains m’a demandé de parler de mon pays à des communiquants qui préparent une plaquette publicitaire. Leur question devait être « Qu’est-ce pour toi que le pays de Thau ? » Comme ils tardent à m’appeler, je me suis dit que j’allais répondre par écrit en donnant une réponse qui entraîne des conséquences politiques (au sens de l’art de gérer la cité).

J’ai longtemps vécu loin du Midi, souvent dans des villes humides : Paris, Londres, Seattle… J’avais alors en tête un coin bleu, pas celui indigo de la Méditerranée, mais celui plus doux de l’étang avec en premier-plan le gris-vert de la garrigue. Mon pays, c’est l’eau et la garrigue.

Pour moi, ces deux éléments, tout aussi sauvages, sont inséparables. Quand j’étais enfant, je jouais le matin au bord de l’étang, non loin de mon père qui était pêcheur, et l’après-midi, je courais en garrigue où nous organisions des parties de cache-cache géantes.

Ce monde bipolaire subsiste par endroits. Des enclaves de garrigue surplombent encore l’étang. Elles enferment la mémoire atavique de notre pays. Je pense par exemple au Pioch de Balaruc qui dégringole vers l’étang au lieu dit La descente du Pioch.

Depuis longtemps la serre municipale défigure la chute de ce jardin naturel. Il faudrait la déplacer, laisser les rocailles venir mourir presque jusqu’à l’eau. Au-delà, cet espace idéalement sauvage, avec ses vagues réminiscences de vergers, est l’un des plus beaux jardins que je connaisse. Peut-être faudrait-il tout au plus empierrer l’ancienne route de Sète pour qu’elle soit un peu plus praticable.

J’ai beaucoup voyagé, très souvent autour de la Méditerranée, en Italie et en Grèce notamment. J’ai découvert à Delphes comme à Lipari les mêmes paysages que chez moi, des paysages précieusement conservés d’eau et de garrigue. Aujourd’hui, plus que jamais, les hommes traversent le monde pour retrouver ces havres de paix.

Nous vivons dans une société de surabondance et nous recherchons souvent pour nos vacances des endroits simples et bruts. Il est vital pour notre mémoire mais aussi pour notre économie de préserver ces jardins naturels que les paysagistes modernes tentent de mimer dans leurs créations.

Je ne dis pas qu’il faut stopper le développement. Au contraire, il faut pour se développer savoir préserver ce qui nous reste d’unique. Le béton est partout. Un morceau de garrigue en surplomb de l’étang de Thau est unique. Et l’unique, plus que jamais, n’a pas de prix.

À l’opposé de La descente du Pioch, sur la côte nord de la presqu’île, se trouve un autre jardin : Les Arènes. C’est aussi un endroit magique, réduit à sa plus simple expression, mais il conserve également une part de notre mémoire collective. J’imagine qu’en un autre temps se tenait sur cette plage des fêtes païennes. Le lieu possède une âme mystique, elle aussi unique. J’éprouve en cet endroit les mêmes frissons que devant le Tholos de Delphes.

Développer un pays ce n’est pas poursuivre une croissance aveugle et standardisée, c’est amplifier ses particularités et se nourrir d’elles. Chez nous à Balaruc, il n’y a pas que l’eau thermale, cette richesse presque trop abondante qui nous a fait oublier les autres richesses bien plus précieuses car non renouvelables. Nous devons cultiver toutes nos spécificités, sans négliger les plus précieuses.

Tous les lieux saints des Grecs et des Romains s’appuyaient sur la dualité des paysages, souvent sur le contraste eau garrigue. Nous avons la chance de vivre au cœur d’un tel patrimoine en voie de disparition. Nous devons le préserver. De la dualité, de cette tension entre les opposés, naît la diversité. Nous devons l’amplifier, étendre par exemple les voies piétonnes et cyclables jusque vers la Gardiole pour que la garrigue plus lointaine elle aussi se joigne à l’étang. Nous devons créer de nouvelles descentes qui seront autant d’ascensions pour les promeneurs.

J’ai une vision ni idyllique ni passéiste. Je consacre mon temps, le nez plongé dans les nouvelles technologies, à réfléchir aux implications politiques de la révolution qui bouleverse le monde. Je sais que le pays de Thau a des atouts pour traverser allégrement cette époque pour peu qu’il n’oublie pas que nous avons changé de siècle. Nous avons quitté le temps de la croissance à tout crin pour celui du développement raisonné.

Notes

  1. Ce billet fait suite à Pour un Balaruc durable.
  2. Quand je vois des palmiers au bord de nos rues et de nos plages, je fulmine. Il y a des palmiers partout. Aujourd’hui, nous pouvons prendre l’avion pour découvrir de vrais palmiers dans leur milieu naturel. Au XIXe siècle, le palmier avait pour vertu de faire exotique sur la Côte d’Azur en une époque où elle représentait le bout du monde pour les Européens du nord.
  3. Je ne dis pas qu’il faut abattre les palmiers déjà plantés mais il faut éviter de mimer ce qui se fait ailleurs pour construire chez nous ce qui nous est propre.
  4. Aujourd’hui, le Pioch de Balaruc s’entretient de lui-même. C’est un jardin auto-suffisant. Voilà pourquoi il a autant de charme. Ce n’est pas en mettant la main sur tout que nous contrôlerons notre avenir.