J’ai commencé à écrire ce billet comme une réponse aux échanges un peu enflammés entre Carlo Revelli et Axel Karakartal, puis je me suis dit qu’il était préférable d’ouvrir la conversation.

Historiquement, le contre-pouvoir c’est le quatrième, il s’est souvent construit par opposition aux trois pouvoirs officiels (même s’il a souvent été aux mains de ces pouvoirs). Les contre-pouvoirs médiatiques qui apparaissent sur internet reviennent aux fondements du quatrième-pouvoir. La plupart des blogs et des journaux citoyens étendent le champ du quatrième pouvoir en le transformant en longue traîne. C’est une révolution structurelle du quatrième pouvoir mais pas une révolution philosophique suffisante pour justifier une nouvelle appellation (d’autant plus que le modèle économique reste inchangé, donc les contraintes afférentes aussi).

Si le cinquième pouvoir intègre le quatrième, il ouvre de nouvelles pistes pour les citoyens, notamment celles de la construction sur le modèle open source décentralisé. Nous devenons capables de construire des structures sociales, économiques, culturelles… sans consulter les gouvernements, donc en nous affranchissant de leur corruption congénitale, de leur manque d’efficacité, de leur incompétence, de leurs vues à court-terme…

Si le cinquième pouvoir doit nous apporter quelque chose de neuf c’est en nous aidant à construire, la longue traîne par exemple, non seulement dans le domaine médiatique mais dans tous les domaines (la longue traîne est une simple conséquence de la décentralisation extrême, elle apparaît dès que la technologie facilite l’émergence d’une multitude d’acteurs).

En se limitant aux fonctions du quatrième, le cinquième pouvoir aurait une fonction de régulation du système (par feedback négatif) mais ne générerait aucun changement notable (par feedback positif).

Si je critique souvent le quatrième pouvoir (traditionnel ou sur le net), c’est parce qu’il nous fait perdre du temps et pire ne nous procure aucun avantage en tant qu’être humain (lire Taleb pour la démonstration). Nous consommons les médias parce que ça nous amuse (puisqu’ils ne nous enrichissent pas). Ils sont un divertissement.

Bien sûr la plupart des infovores, c’est-à-dire la plupart d’entre-nous, ne considèrent pas les médias comme un divertissement. C’est une affaire sérieuse. Et tout ce qui se dit dans les médias est sérieux. Cette perspective erronée entraîne toute une série de confusions. Elle entraîne des débats sans fin sur ce que les médias disent ou auraient dû dire. Elle les intègre à des complots et à mille autres magouilles alors qu’au final ces médias sont tout simplement le nouvel opium du peuple.

Quel que soient leur support, ils cherchent à nous éloigner de la réalité alors même qu’il nous la dépeigne sans cesse. Devant un tableau, nous ne sommes jamais dans le tableau. Nous discutons des intentions du peintre, nous nous posons des questions sur la vie du modèle mais nous ne sommes pas le modèle. Les médias nous ont fait oublier cette dichotomie en finissant par nous faire croire qu’ils parlaient de nous. C’est une illusion. Les médias sont ni plus ni moins qu’une galerie de peintures.

Comme les artistes, ils nous imposent leur perspective. Ce prisme n’est pas propre aux médias qui seraient détenus par le grand capital mais à tous les médias. Par exemple, Carlo Revelli, fondateur d’Agoravox, est partisan de la théorie du complot pour 9/11 et de nombreux partisans de cette théorie se sont regroupés autour d’Agoravox. C’est un phénomène naturel qui nous démontre que l’objectivité médiatique est impossible.

Même dans les médias citoyens ouverts à tous une forme de sélection naturelle du lectorat s’effectue. Des articles repoussent les uns et attirent les autres, font de même avec les auteurs et, peu à peu, une ligne éditoriale s’impose. Elle n’a pas besoin d’être choisie volontairement. Elle est consubstantielle de l’espace médiatique.

Les grands médias tentent à tout prix de résister à cette dérive car ils veulent séduire le plus grand nombre. Ils évitent les thèses marginales pour ne pas focaliser leur audience. Se faisant, ils deviennent insipides.

Pour toutes ces raisons, je ne lis pas les médias. J’utilise les moteurs de recherche qui m’envoient un peu partout sans m’enfermer sur un support. Je déteste les agrégateurs de flux RSS qui nous attachent à des sources. Je suis des auteurs en particulier et jamais des médias en particulier.