Quelques définitions pour commencer.

  • Ne pas étudier. Expression du peuple des connecteurs qui était entendue au sens de ne pas suivre un parcours étiqueté mais choisir dans l’immensité des savoirs ceux capables d’enrichir sa personnalité. Ne pas étudier ne veut donc pas dire ne pas apprendre mais apprendre ce que tu choisis d’apprendre, ce qu’aucun cursus ne peut te proposer, même le plus maléable. Quand tu commences par faire un école pour avoir un diplôme qui te donnera tel ou tel job, il y a un bug.
  • Généraliste. Antonyme : spécialiste. Synonyme : éclectique. Celui qui n’est spécialiste de rien a priori mais qui a l’aptitude de plonger dans un domaine si nécessaire. Ératosthène est le prototype du généraliste. Un généraliste ne s’enferme pas dans une voie une fois pour toute. Ainsi un généraliste « n’étudie pas », il ne fait pas une école (et s’il en fait une ça n’a aucune importance), car il n’existe pas d’école du généralisme (chaque généraliste s’invente son cursus). Il ne connaît pas moins de choses qu’un spécialiste mais les choses qu’il connait se répartissent plus horizontalement.
  • Spécialiste. Personne ne peut s’intéresser qu’à une chose donc le pur spécialiste ne peut exister. Mais un critique d’art plastique qui ne sait parler que de l’art et qui n’ose jamais parler de littérature, de musique, de mathématique, de philosophie… est un spécialiste. L’analogie médicale suffit à bien comprendre la différence entre généraliste et spécialiste. Dans Ératosthène, je défends l’idée que, en période de changement extrême, le spécialiste n’est plus adapté car les spécialités du passé explosent et celles de l’avenir n’existent pas encore.
  • Expert. C’est un mec qui a un CV et qui, de ce fait, est censé avoir une opinion juste sur quelque chose. Un expert peut être un généraliste ou un spécialiste. C’est une fonction sociale souvent employée pour justifier les décisions de ceux qui se placent au-dessus des autres (et nous faire avaler des couleuvres). Voilà pourquoi je déteste les experts. Il faudrait leur faire confiance banco.
  • Structure. J’oppose ce mot à désordre et l’associe à une forme d’ordre. Ainsi la plupart des phénomènes naturels apparaissent structurés. Tous les réseaux, sauf les réseaux aléatoires, ont donc une structure.
  • Hiérarchie. C’est une structure très particulière qui se schématise en strates, souvent suivant le modèle pyramidal mais pas seulement. Dès que je parle de hiérarchie, je pense au mille feuilles (un de mes gâteaux préféré) et je me dis toujours que je préfèrerais être la couche supérieure bien croustillante que celle coincée entre deux tartines de crèmes (chantilly de préférence à au beure).

Maintenant, je vais répondre une seconde fois à Stan suite à ses nouvelles interventions. Je ne crois pas que nous soyons d’accord comme tu le supposes. Que les hiérarchies facilitent la vie ne justifie pas que nous les utilisions. La dictature a quelques avantages aussi, en économisant par exemple la liberté. L’efficacité ne justifie rien du tout.

Je pense que nous devons nous affranchir des hiérarchies car, même bien intentionnées, elles contiennent les germes de la dictature. « Puisque je suis au-dessus de toi, tu vas faire ce que je te dis.  » Nous devons nous casser la tête pour y parvenir (et c’est possible…). C’est valable en informatique comme dans la vie de tous les jours. Si en informatique nous nous enfermons dans des systèmes hiérarchiques, nous seront les esclaves de ceux qui contrôleront ces hiérarchies. Voilà pourquoi, par exemple, j’applaudis toutes les tentatives de création de réseaux indépendants du système de nommage traditionnel par DNS (le point à point de modem en modem par exemple).

Je ne veux décapiter rien du tout. Je ne prône pas la révolution. Je pense que nous pouvons construire à côté du système hiérarchique un système qui ne le serait pas ou le serait de moins en moins (de nombreuses amorces existent). Les gens choisiront alors dans quel système ils vivront.

Jusqu’à aujourd’hui, le système hiérarchique n’a jamais laissé ces initiatives se développer (les utopies pirates par exemple…). Logique, dans ce système, les hiérarques entendent garder leur position dominante. Le système hiérarchique a cela de particulier qu’il est sectaire. Les hiérarques croient invariablement qu’il existe un idéal dont ils sont très proches. Si on faisait la statistique, nous trouverions sans doute que 100% de ces hirérarques croient en une des trois religions du livre (ou apparentée), forme très spéciale de spiritualité, qui a pour conséquence de renforcer leur position en la justifiant.

Pour moi, une autre forme de spiritualité peut exister, une spiritualité qui ne recourt à aucune hiérarchie. Depuis la nuit des temps, des centaines de dieux ont existé, souvent placés au-dessus des hommes, sauf dans les religions comme le bouddhisme qui ne recourent pas au concept de Dieu ou plutôt qui le placent en chacun de nous. Pour un humaniste, l’homme est plus important que Dieu. Nous devons aimer ce qui existe sous nos yeux. Il y a une chose merveilleuse dans le monde : la créativité. Elle déborde de partout. C’est la véritable merveille et c’est elle que je préfère vénérer… Elle a la puissance de nous arracher des habitudes et d’inventer ce que beaucoup jugent impossible.

J’en reviens à quelque chose de plus terre à terre mais qui est intimement lié à ce qui précède. Stan, quand tu dis que les experts doivent simplifier leur discours pour se faire comprendre, tu poses un postulat qui n’a rien de nécessaire. Dans une société non hiérarchique, il ne s’agit pas de se faire comprendre de tous mais de tous ceux que ça intéresse. Et tu peux parier qu’il y aura des gens capables de te comprendre (si tu es capable de t’exprimer clairement).

C’est le modèle hiérarchique, sa version pyramidale, qui nous a imposé la vision « moi Dieu doit être entendu de tous. » Mais c’est absurde. Tout le monde ne peut pas entendre tout le monde. Partant de là, on parle à ceux qui veulent nous entendre et jamais à tout le monde (ce qui est tout simplement impossible… à moins de se prendre encore une fois pour Dieu). D’un côté, il y a des gens qui sont ouverts, qui discutent et se mettent en position de faiblesse. De l’autre, il y a des experts qui se protègent car ils protègent leur gagne-pain.

L’éducation, qui nous impose de manière autoritaire l’accumulation de savoir, est essentielle afin de devenir soit même un expert dans une poignée de domaines et être en mesure non pas de comprendre la communication extérieure simplifiée d’un système, mais le système lui-même.

Tu poses encore le même postulat. Si seuls les experts peuvent comprendre quelque chose, si les autres n’ont pas accès à leur expertise, nous sommes en état de dictature. Je ne prétends pas que nous devons tous devenir les experts de toutes choses, devenir neurochirurgien au moindre mal de crâne, mais juste que nous devons plonger dans ces matières si nous en éprouvons le désir (dans ce cas, il faut bosser je n’ai jamais supposé que quiconque avait la science infuse). À ce moment, nous devons pouvoir prétendre dialoguer à égalité avec ces dits experts.

Tu balaies d’un revers de la main la vie de tous les grands éclectiques qui au cours des siècles ont fait avancé la culture humaine. D’Ératosthène à Da Vinci, de Cicéron à Leibnitz… Je pourrais citer tous le courant contemporain des nouveaux essayistes américains, à commence par Taleb. Lui et ses amis, dont certains prix Nobel, ont fait le choix de publier leurs nouvelles idées dans des livres distribués en librairie plutôt que dans des revues scientifiques. Les experts ne parlent plus aux experts car ils ont compris que l’innovation peut jaillir de partout (c’est le principe de la wikinomics).

Il ne s’agit donc pas pour moi de pproposer un monde où personne ne se ferait confiance, bien au contraire. Je demande aux experts de nous faire confiance le jour où nous nous intéressons à leur domaine. La confiance ne se donne pas aveuglément. Si un mec dans la rue te jure qu’il est pilote d’avion, vas-tu immédiatement monter avec lui en avion ? Moi, quand je vois un CV, je ne fais pas confiance. Le CV ne prouve rien. La confiance se construit. Elle n’est pas due (surtout pas aux hiérarques).

Mais je voudrais mettre en garde aux démons de cette technologie. L’accès gratuit a une information très diversifiée, vulgarisée, si peu vérifiée, ne dois pas nous donner l’illusion d’une connaissance absolue et accessible a tous. L’acquisition du savoir est difficile, l’acquisition du savoir est laborieuse, mais l’acquisition du savoir est aussi le seul moyen à notre disposition pour changer le monde qui nous entoure.

Tu supposes donc que certaines élites peuvent accéder à la connaissance absolue ! Et tu cherches à faire croire que je suis contre l’acquisition des savoirs alors que je défends pour tous ce droit… et que j’en fais même un devoir tout au long de la vie (acquisition qui n’a aucunement besoin d’être laborieuse comme tu le supposes, pour moi c’est un jeu). Je viens de lire Le Guépard. Tu me fais penser au prince Salina qui dit :

Il faut que tout change pour que tout reste comme avant.