À la fin de son article publié dans le numéro spécial de Politis d’octobre-novembre, Susan George écrit :

C’est en nous libérant du néolibéralisme et en embrassant un keynésianisme d’un genre nouveau que nous pouvons nous libérer de la prison de la crise triangulaire [sociale, économique, écologique].

Malheureusement, le keynésianisme nouveau ou pas reste englué dans l’ancien paradigme à la source de tous nos maux. Je ne crois pas à cette solution, même si je conçois qu’elle peut nous faire progresser sur le bon chemin. Au mieux, c’est une politique de transition. J’ai alors poursuivi mon dialoguie avec Susan.

Lettre à Susan George

« Comme toi, je crois à l’urgence.

« Je suis d’accord sur tout ce que tu dis sauf sur la solution.

« En fait, tes propositions me paraissent bonnes, je suis pour, je vote les yeux fermés. Si j’étais chef d’État, j’adopterais tout de suite tes mesures. Mais je ne le suis pas et je doute qu’elles suffisent et qu’elles ne soient pas pires que le mal. Je doute car je suis incapable de prévoir l’avenir et les mesures aussi globales me paraissent potentiellement dangereuses (aussi dangereuses que le capitalisme qui lui aussi est global).

« Tu parles sauvent de la nécessité de sauver la biodiversité, c’est vital ! Nous devons aussi préservé l’humanodiversité… notamment la diversité des solutions pour nous attaquer à la crise. Et justement, nous souffrons avant tout d’une crise de l’uniformisation. En globalisant, nous avons réduit l’artisanat, nous avons réduit la diversité des modes de vie… nous nous sommes mis en danger car nous ne connaissons plus qu’une réponse à nos maux alors qu’il nous faut en tester un grand nombre. Nous devons globaliser la diversité.

« En adoptant une solution par le haut, nous contribuerons encore plus à l’uniformatisation. Nous nous mettrons encore plus en danger. En 1941 aux États-Unis, le problème était simple, un envahisseur, il exigeait une réponse simple. Aujourd’hui, le problème est complexe, il exige des réponses complexes.

« Ton analogie du triangle ne prend pas en compte la complexité. Nous devons penser complexe, nous devons changer de mode de penser pour résoudre la crise mondiale. Nous devons adopter des méthodes d’action organiques parce que nous traversons une crise organique, celle de biosphère et en même temps de la noosphère.

« Contre le capitalisme, c’est nous qui avons le pouvoir. À commencer par les plus riches d’entre-nous. Tu dis que tu ne vois pas de parti ou d’avant-garde mobilisé, tu as raison. Mais les hommes libres commencent à se mettre en marche. Des gens comme toi doivent leur montrer le chemin, c’est un peu ce que tu fais à la fin de ton article.

« Tu dis que nous avons dix ans. En dix ans nous avons construit Internet. Et nous n’étions pas si nombreux que ça. En dix ans, nous pouvons tout changer… mais il faut justement que des nouveaux chevaliers partent au combat. Il faut que les plus riches ne se supportent plus quand ils se regardent dans la glace le matin et qu’ils usent de leur richesse pour devenir des militants.

« Il faut que les hommes eux-mêmes changent et le monde changera. Tous comme les plus pauvres, les plus riches, toi, moi, nombre d’Occidentaux, ne s’aiment plus. Ils ont besoin d’un autre rêve, d’une mission, j’en suis sûr. Et ils sont des millions et ils ont les moyens d’agir.

« Nous devons rendre leur vie psychologiquement insupportable et leur révéler d’autres possibilités existentielles. Dans mon prochain livre, je raconte comment j’ai traversé cette transformation. J’espère en inciter d’autres à faire de même.

« Une chose est sûre, on escalade la même montagne… et ce n’est pas plus mal qu’on s’y attaque par des faces différentes. »

Juste avant de conclure son article Susan évoque avec ironie la possibilité de créer l’ordre des « Conquérants du carbone », des « Chevalier du vert Avenir » ou des « Défenseurs de la Mère Terre ». Susan est ironique car elle ne croit pas que le changement puisse venir de nous. Suivant l’ancien paradigme, elle croit qu’il est plus facile de convaincre les puissants pour qu’ils nous imposent une solution, la bonne solution.

Réponse de Susan

« Je n’ai rien contre, bien au contraire, ce que tu appelles « l’humano-diversité ». J’entends ça environ trois fois par semaine et je suis d’accord. Je ne décourage ni l’action individuelle, ni à plus forte raison la participation d’individus à des mouvements plus larges. Tout cela me semble toutefois présupposer que « les gens » vont habiter les campagnes ou des villages et obtenir la plupart de leurs nécessités localement, comme il y a cent ans. Admettons que l’on pourrait faire des AMAP partout, des bicyclettes, etc. OK, parfait. [… mais] malgré tous les efforts individuels-locaux, je crois quand même qu’on va continuer a fabriquer des voitures, des TGV, voyager en avion, construire de grands immeubles, avoir des usines, avoir des machines à laver, faire du commerce et que les chinois et les indiens et tous ceux qui s’enrichissent actuellement […] vont consommer plus de viande et d’énergie.

« Que faire en attendant que les multitudes deviennent suffisamment actives pour leur proposer autre chose, ou qu’ils se dégoutent de la richesse ? […] Militer pour des solutions en occident comme je les propose et qui n’exclut pas les tiennes — je donne même aux très riches des incitations pour faire ce que tu veux qu’ils fassent.

« La conversion, c’est surement beau mais c’est très rare. Saint Francois est mon saint préféré mais même parmi les saints les Francois sont rares. »

Ma réaction

Justement ce qui était rare jadis, dans la société pyramidale qui s’est construite sur l’offre limitée, se banalise aujourd’hui. Nous avons commencé à libérer l’information, nous allons libérer l’énergie et tout le reste comme devrait le montrer Chris Anderson dans son prochain livre. Chacun de nous est en train de devenir un vecteur de libération. C’est possible parce que la société bascule peu à peu du mode pyramidal au mode des réseaux.

Le keynésianisme est une méthode top down. Il peut fonctionner quand la pyramide est solide et claire. Aujourd’hui, les réseaux la brouillent, la complexité percole de toutes-parts. Les hommes de pouvoir n’ont plus aucun pouvoir sinon celui de prendre des décisions qui seront probablement néfastes.

Alors pourquoi pas la création d’un nouvel ordre de chevaliers ? Il ne se préoccuperait pas d’environnement mais de faire changer les gens. Et il commencerait par ceux placés au plus haut de la pyramide et, chaque fois que quelqu’un serait converti, il deviendrait à son tour chevalier. Il profiterait de la pyramide elle-même pour aller plus vite vers la société des réseaux, la seule à mon sens capable de résoudre la crise.

C’est par le rêve d’une autre civilisation que nous résoudrons la crise. Les approches « sauver les meubles » n’ont aucune chance d’aboutir car trop de gens, protégés au sommet de leurs pyramides, ne sont pas en danger.

Nous devons inséminer le rêve dans tous les esprits. Comme l’eau, le changement s’accumule derrière le barrage et soudain il déferle. Ce n’est pas parce que nous avons l’impression que rien ne change, que rien ne change. Les changements se produisent là où on ne les voit pas. Ils se jouent aujourd’hui dans les consciences. Et c’est elles qui règleront la crise.

Contrairement à ce que les économistes ont longtemps supposés, nous ne sommes pas des animaux rationnels. On aura beau nous dire que la planète se meurt nous ne ferons rien tant que nous ne seront pas en danger direct.

Nous sommes capables de prendre un bateau et de traverser l’océan à la poursuite d’un rêve. Nous ne partons pas simplement parce que ce serait bon pour les autres.

Sans rêve, il faudra attendre le dernier moment.

La renaissance dont se gargarise Sarkozy pourrait être ce nouveau rêve pour les hommes : pas sauver la planète mais vivre autrement. Si de plus en plus de gens découvrent dès maintenant qu’ils peuvent être plus heureux, je crois qu’ils changeront parce quelque chose de profond les animera, quelque chose qui touche notre égoïsme le plus primaire.