Ma conférence de Genève s’est retrouvée sur leweb2zero.tv. Un commentateur a tenté de parler du monde en soi et des diverses représentations que nous pouvions nous faire de ce monde. En gros, il dit que le monde en soit ne peut pas être en même temps plat et sphérique mais que seules nos représentations peuvent être diverses.

Je ne pense pas avoir dit le contraire.

Si je crois que le monde est plat, je le vois plat, j’y vis comme s’il était plat. Mais comme je sais qu’il est sphérique, j’ai l’impression de le voir sphérique, surtout quand je me trouve au bord de la mer.

Nous ne parlons toujours que de représentations. Tout ce que nous pouvons dire sur le monde c’est au travers de nos représentations. Soit on est dogmatique et on s’accroche à une seule représentation, soit on accepte de croiser diverses approches, mais cela ne nous affranchit pas de représenter.

J’entends souvent dire :

— Le réseau n’est qu’une représentation. On peut en créer autant qu’on veut.

Ce à quoi je réponds :

— Allez-y. Créez des représentations. C’est le propre des génies d’en offrir de nouvelles à l’humanité.

Il me semble que nous ne disposons pas de beaucoup de représentations. Elles apparaissent peu à peu au fil de l’histoire. Et on ne peut pas en sortir de son chapeau à tour de bras.

Dans ma conférence, je discute de deux changements de représentation. Celui du monde plat vers le monde sphérique, celui du monde pyramidal vers le monde réseau. J’aurais pu parler du passage de l’espace euclidien à l’espace riemannien. Il y a d’autres exemples qui souvent n’ont pas encore été consommés (mais en aucun cas une infinité d’exemples).

Notes

  1. Pour nous les hommes, la terre n’a pas géométriquement beaucoup changé depuis notre apparition. Seule notre représentation d’elle a changé.
  2. En revanche, la structure sociale évolue. Je parle donc de représentations changeantes d’un objet lui-même changeant.

Qui dit changement de représentation, implique que des personnes différentes peuvent vivre avec des représentations différentes. Dans l’imaginaire collectif, le monde peut être en même temps plat et sphérique. Une même personne peut hésiter entre les deux modèles et vivre tantôt comme si le monde était plat, tantôt comme s’il était sphérique. C’était le cas pour les Grecs.

La réalité qui se cache derrière la représentation est elle sans doute moins versatile. La terre est « plutôt » sphérique. Je crois que c’est la même chose pour notre réalité sociale. Elle est « plutôt » en réseau même si beaucoup de gens la voient encore comme strictement pyramidale. Mais cette réalité restera éternellement masquée par nos représentations.

Comme je le dis souvent, la pyramide, c’est-à-dire la structure en arborescence, n’est qu’une forme particulière de réseau. Je ne parle en fait que d’un glissement de représentation (quelque peu déphasé avec les transformations de l’objet représenté). Nous passons d’une structure sociale relativement idéale à une structure de plus en plus interconnectée qui, au final, possède une topologie nouvelle, pour résumer hautement décentralisée et distribuée.

Mathématiquement, entre un plan et une sphère, il y a autant de différences qu’entre une arborescence et un réseau hautement décentralisé et distribué. Nous sommes peut-être tout simplement en train d’apprendre à mieux voir notre monde social. Il n’est plus vertical mais transversal. Et peut-être que ce nouvel éclairage nous permettra de repenser nos vies et nos sociétés.

Comme l’objet social dépend de nos actes et de nos représentations, il peut évoluer en fonction du regard que nous portons sur lui. C’est un objet en soi bien plus complexe que la terre mais l’analogie entre les deux transitions de représentation me paraît pertinente.

Nous changeons ni plus ni moins de conception du monde… et en même temps nous allons changer le monde.

Please, arrêtez de me dire que je ne parle que de représentations. Dès que nous disons « je » nous parlons d’une représentation. J’aimerais faire autrement et parler du monde en soi mais malheureusement il m’est inaccessible.