Je ne peux plus penser à un autre titre pour mon prochain livre. J’avais tout d’abord songé à Boom, mais ce n’est pas un livre sur la crise / les crises, puis j’avais trouvé Le monde ne peut plus attendre, puis Les nouveaux Christophe Colomb, puis en lisant La théorie du crapaud fou appliquée à Internet, j’ai crié eurêka.

Comme nombre de pionniers des nouvelles technologies, de la nouvelle politique, du nouvel activisme, Christophe Colomb était un crapaud fou. Alors que tous ses contemporains cherchaient l’Inde et la Chine vers l’est, il la chercha vers l’ouest.

Le crapaud fou, c’est ce batracien déboussolé qui ne suit pas ses congénères lors de la migration reproductive. Il s’en va se perdre, souvent ne revient jamais à sa mare d’origine, ne trouve pas de conjoint, meurt… Mais quand tous ses congénères, dans leur migration stéréotypée, se heurtent à un obstacle et succombent, la survie de l’espèce ne tient qu’à quelques crapauds fous qui réussissent à trouver de nouveaux chemins vers de nouvelles mares.

Dans mon livre, je veux défendre l’idée que plus que jamais nous avons besoin de crapauds fous, qu’ils sont d’ailleurs si nombreux parmi nous, qu’au final il y a aujourd’hui en chacun de nous une part de crapaud fou. Quand toutes ces folies se connecteront nous entreront dans une nouvelle époque, une nouvelle civilisation.

Les caractéristiques des crapauds fous

  1. La nécessité. Il faut que quelque chose impose la migration. Le besoin de se reproduire chez les crapauds, le besoin de propager la parole de Dieu chez Christophe Colomb en un temps où l’Islam vient de faire tomber Constantinople, où la vieille Europe se persuade de l’imminence de la fin du monde.
  2. La folie. Chez nous, elle peut aussi devenir foi, confiance, espoir, certitude qu’il existe une autre possibilité, d’autres possibilités. Sans ces ingrédients, on reste sur les chemins balisés.
  3. La chance. Comme Christophe Colomb, il faut trouver une terre où il ne devait pas y en avoir. Nombre de crapauds fous se sont perdus avant Colomb.
  4. La carte. Sans doute instinctive chez les crapauds, elle devient géographique avec Christophe Colomb. Sans carte, le voyageur ne revient pas. Et même s’il revient, il ne peut pas objectiver sa découverte faute d’une représentation adéquate du monde. La carte est la condition nécessaire pour que la folie a priori devienne a posteriori un coup de génie.

C’est de tout cela que je veux parler dans mon livre, de crapauds fous, de leurs nouvelles cartes, de leurs nouvelles routes, de la civilisation qu’ils inventent, que nous inventons tous. La nouvelle carte, vous l’aurez deviné est celle des réseaux. Elle nous révèle une infinité de routes inédites.

Les écureuils fous

Un ami m’a suggéré cet autre titre pour mon livre. Les écureuils ont l’habitude d’enterrer les glands pour les manger plus tard et souvent ils ne les retrouvent pas. C’est de cette façon que les forêts de chênes se seraient propagées de l’Asie vers l’Europe.

Cette autre métaphore nous montre comme de petits gestes, anecdotiques, involontaires, peuvent eux aussi changer le monde lorsqu’ils s’accumulent. Il y a de cela dans les crapauds fous d’aujourd’hui, quelque chose de l’ordre de la symbiose entre les chênes et les écureuils. Les crapauds fous ne sont pas nécessairement connus, extraordinaires, ils peuvent être des hommes et des femmes comme vous et moi.

PS1 : Comme je l’avais fait pour Le cinquième pouvoir, je vais tenter de créer la chronologie de l’expression crapaud fou / crazy toad / mad toad que je compléterai au fil des trouvailles.

PS2 : En 2006, c’est Erick Jonquière qui m’avait soufflé l’idée du cinquième pouvoir dans un commentaire ici-même. Cette fois c’est sur twitter que La ligne m’a glissé insidieusement cette idée. Les temps changent et c’est le sujet du livre.