Principe de Peter appliqué aux pyramides

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Tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence.

C’est un principe que j’ai vite appris dès que j’ai commencé à travailler dans une pyramide. Et plus je me suis élevé, plus j’ai constaté que la probabilité de croiser des incompétents augmentait. Puis j’ai fini moi-même par atteindre mon niveau d’incompétence. Alors je me suis sabordé plutôt que de m’encrouter dans une position où je n’aurais fait que ralentir les autres.

À lui seul, le principe de Peter explique pourquoi une structure pyramidale finit par se scléroser. Pour éviter ce piège, elle doit grossir en injectant à tous les échelons de nouveaux employés. Ainsi, passée la taille où le management familial fonctionne, une structure pyramidale ne peut que croître ou s’effondrer. C’est une des raisons qui explique pourquoi dans le top 500 des entreprises américaines plus de 50 % n’existaient pas il y a 20 ans.

Cette nécessité de la croissance pose en soit un problème dans un monde où la croissance ne peut qu’être compromise mais ce n’est pas l’objet direct de mon propos. Je voudrais essayer de montrer en quoi une structure pyramidale est impropre pour résoudre les problèmes complexes.

Le Mikado comme métaphore

Un problème complexe est un problème qui ne peut pas être subdivisé en sous-problèmes. Prenons par exemple la crise climatique. Même si on oublie que ce problème est lui-même lié aux crises économiques, spirituelles, sociales, nous allons avoir beaucoup de mal à le scinder en sous-problèmes.

On ne peut pas s’attaquer à l’air, à l’eau, à la terre, aux pôles, au co2, aux forêts… séparément. Ces différents éléments sont interdépendants par une multitude de feedbacks. Pas plus, on ne peut adresser le problème en un seul endroit du globe. D’où la complexité des modèles climatiques. Bouger un seul paramètre peut être catastrophique, soit pour le climat, soit pour l’économie, soit pour la santé publique. Et personne n’est capable d’anticiper les conséquences d’une décision.

Je lisais hier un article qui expliquait qu’en passant à l’essence sans plomb on avait accéléré le réchauffement climatique, car le plomb dissout dans l’atmosphère avait un pouvoir réfléchissant. On gagne d’un côté, on perd de l’autre. C’est à ce moment qu’on est dans le complexe.

Bien sûr, il existe des effets de bord qui a priori ne risquent pas de faire du mal, encore qu’il faut toujours se méfier des coups de billards en trois bandes. James Lovelock relève souvent ainsi les conséquences fâcheuses des bonnes intentions. En voulant empêcher les pluies acides, nous avons aussi diminué le pouvoir réfléchissant de l’atmosphère explique-t-il.

Dans Le cinquième pouvoir, j’utilise la métaphore du jeu de Mikado. Si les piques roulent hors du tas principal, on peut les bouger sans risque. Je donne l’exemple de la sécurité routière ou de la peine de mort. Quand les piques se trouvent au cœur du tas, c’est une autre histoire. C’est à ce moment que nous entrons dans la complexité, ce domaine où on ne peut plus traiter de chacune des piques indépendamment les unes des autres.

Il existe à coup sûr des piques isolées dans le domaine climatique. On peut aboutir à de petits mieux sans courir trop de risque. Interdire les commerçants de distribuer des sacs jetables. Imposer de peser les ordures ménagères et faire payer au poids (même si on risque de voir jaillir des décharges sauvages). Imposer aux constructeurs automobiles de proposer dans toutes leurs gammes des modèles électriques à prix compétitif (peut-être pas si simple déjà). Mais il serait dangereux de croire que le problème climatique en général se règlera uniquement comme ça. Il existe des piques interdépendantes qui ne peuvent être déplacées sans catastrophes.

Le Mikado donne une idée intuitive de ce qu’est la complexité. Les scientifiques, tant dans le domaine des sciences dures qu’humaines, ont découvert des méthodes objectives pour estimer si un système était complexe ou non. L’irréductibilité, autrement dit l’impossibilité de découper en sous systèmes, correspond souvent à une invariance d’échelle. Quand on découpe le système, on se trouve toujours face au même problème (ou on casse le système au point qu’il est méconnaissable). Les power law, présentées dans Le peuple des connecteurs aident à mettre en évidence l’invariance d’échelle.

On peut bien sûr remettre en question ces théories et dire que la complexité est une illusion due à notre incompétence. Mais a priori il s’agit de quelque chose de plus profond, si profond que toutes les sciences s’en trouvent aujourd’hui bouleversées, si bien que la plupart des scientifiques travaillent sur les problèmes dits complexes. Bien sûr ils restent attachés à la rationalité héritée des lumières mais pas à la méthode cartésienne définie dans Le discours de la méthode.

Pas de solution universelle

J’en reviens à la structure pyramidale. Elle est en organisation le pendant de la méthode cartésienne en science. Que nous dit Descartes : subdivisez le problème en sous-problèmes jusqu’à ce que chacun des sous-problèmes soit résolu. Alors vous réassemblez le tout et le problème global est aussi résolu. C’est notamment comme ça que travaillent les ingénieurs et les scientifiques qui rêvent de la théorie du tout.

Pourquoi dans une entreprise ou un gouvernement arrive-t-on souvent à des pyramides ? D’un côté la production, de l’autre le marketing, de l’autre les ressources humaines. On divise en trois grandes branches le problème du travailler ensemble. Puis on continue. La structure reflète l’idée que le problème auquel on fait face est décomposable.

Bien sûr, de temps en temps des sous-problèmes se chevauchent, on discute, on se dispute, on arrive parfois à s’en sortir. Mais quand les chevauchements deviennent emberlificotements, c’est le bordel. On oublie le problème, on le nie… et les employés payent souvent les pots cassés.

Si le problème nécessite l’intervention simultanée de toutes les compétences de l’entreprise, de toutes les intelligences, le modèle pyramidal ne sait pas gérer. Il ne sait pas faire travailler cent personnes en même temps sur une même tâche, encore plus des milliers. Sur quoi vont travailler les équipes A, B, C… puisqu’on ne peut pas simplifier le problème, puisqu’on ne peut pas le décomposer ?

Est-il si extraordinaire que la structure pyramidale ait des limites ? Je n’ai même pas besoin d’évoquer son coût de fonctionnement qui croît exponentiellement. Nous, être humains, atteignons notre niveau d’incompétence. La pyramide aussi. Elle n’est pas bonne à tout faire, ce n’est pas la panacée universelle. Très efficace face aux problèmes décomposables (que j’appelle aussi compliqués), elle est inadaptée face aux problèmes complexes.

En fait, entre le simple et le complexe, il existe un spectre de problèmes et on peut lui faire correspondre un spectre des formes d’organisation aptes résoudre ces problèmes. Il me paraît vital de combattre l’essentialisme à ce niveau aussi. La pyramide n’est la forme idéale et indépassable. C’est un outil dans notre arsenal organisationnel. Juste un outil. L’idéologie commence quand on veut que tous les problèmes soient adressés par cette unique approche.