Quand j’écoute nos anciens, comme James Lovelock, Claude Lorius ou Susan Georges, j’ai de quoi être pessimiste. Ils croient que nous ne nous sortirons pas de la crise climatique sans traverser une période terrible. Leurs longues années de combat leur ont montrés que l’homme ne changerait rien avant que la catastrophe ne soit là.
Le développement durable est une notion à laquelle je ne crois plus. On ne peut pas maîtriser le développement. Et pour être durable, il faudrait être à l’état d’équilibre, or cet équilibre n’existe pas. C’est un terme trompeur. Avant, j’étais alarmé, mais j’étais optimiste, actif, positiviste. Je pensais que les économistes, les politiques, les citoyens pouvaient changer les choses. J’étais confiant dans notre capacité à trouver une solution. Aujourd’hui, je ne le suis plus... sauf à espérer un sursaut inattendu de l’homme, a déclaré Claude Lorius dans Le Monde.
Nous autres, plus jeunes, conscients des défis mais aussi armés de nouvelles technologies et de nouvelles idées politiques, pensons justement qu’un sursaut est possible. Depuis quelques jours, je doute toutefois à mon tour. Les écureuils réussiront-ils leur mission humanitaire ?
Économiser un peu d’eau, un peu d’énergie, favoriser l’agriculture clean… est-ce que ça suffira ? En toute probabilité non. Il faut aller bien plus loin, il faut revoir de fond en comble nos modes de vie. Qui est prêt à un tel sacrifice ? À part quelques Walden dans les bois, la plupart d’entre nous ne bougerons pas suffisamment. Pour ma part, je m’en sens incapable. J’ai déjà fait quelques efforts, j’en ferai d’autres mais je n’irai pas vivre dans une yourte. En plus, j’ai la conviction que notre avenir réside dans une autre direction.
Alors par fainéantise, je pourrais avoir envie de jeter l’éponge. Je crois que ce serait une erreur. Nous devons apprendre à travailler et à vivre autrement les uns avec les autres. Nous devons persévérer dans cette voie et ne pas nous laisser abattre. Les méthodes collaboratives stimulent la créativité. Nous avons besoin de créativité plus que jamais pour inventer de nouvelles technologies et de nouvelles modalités sociales. J’en reviens à mes vieux amours de SF. Nous devons innover pour résoudre la crise, innover techniquement, socialement, spirituellement, artistiquement… Nous devons nous réinventer. Surtout ne pas négliger la technologie, c’est notre meilleure chance de salut.
Nous n’avons pas le choix. Nous devons nous inspirer des écureuils, faire des petits gestes a priori inutiles, les propager de personne en personne, non pas pour changer le monde mais pour nous entraîner à penser et à vivre différemment, pour construire les réseaux qui nous permettrons de réagir et d’échapper à l’horreur. Nous serons alors prêts à gérer la crise, notamment quand les structures sociales actuelles révèleront l’immensité de leur impuissance. Dans l’intervalle, nous serons peut-être capables grâce à notre intelligence collective de trouver une arme de taille pour lutter contre les dérèglements climatiques et les autres crises.
Nous devons répondre à la violence non par la violence mais par une nouvelle forme de sagesse. Nous devons changer le système qui a provoqué la crise. Jouer aux écureuils, c’est s’entraîner, se préparer à la lutte. Nous sommes en train d’inventer quelque chose mais nous ne savons pas encore quoi. Lorsque cette chose deviendra évidente pour tous, la boule ne neige aura provoqué une avalanche dans laquelle nous serons tous pris.
En attendant, chaque fois que nous passons des moments ensemble à échanger, à parler de nos gestes, de nos idées, nous récupérons du temps d’habitude phagocyté par la télévision et les autres formes de consommation passive. Nous construisons l’infrastructure qui nous permettra d’agir. Nos actions d’aujourd’hui à elles seules ne changeront pas le monde mais, si nous ne les pratiquons pas aujourd’hui, demain nous ne serons pas prêts.