Julien Coupat : la fabrication d’un héros

Le cinquième pouvoir ne cohabitera pas éternellement avec les pouvoirs centralisés qui ont pour fâcheuse tendance d’épuiser la planète et d’épuiser les hommes, les berçant de quelques illusions mercantiles pour replacer le vieil opium des religions.

En mars 2008, j’évoquais la puissance de la guérilla. Quand, à l’automne, j’ai vu que quelques caténaires sautaient, je me suis dit qu’on y était, c’était le début, les premières expériences grandeur nature.

Nos policiers ont arrêté sans preuves Julien Coupat. Ils l’ont emprisonné au-delà du nécessaire, il est devenu le héros public d’une contestation jusqu’alors souterraine. Et si le pouvoir avait créé le martyr qui allait réveiller les foules ? La puissance centralisée a tant besoin d’un ennemi identifié qu’elle n’a pu s’empêcher de donner un cœur à une force qui se cherchait encore. En lisant Coupat dans Le Monde, je me demande maintenant si elle ne lui a pas donné une âme.

Je ne peux m’empêcher de penser au premier livre de Romain Gary, L’éducation européenne. C’est un récit de guerre où on découvre que les résistants polonais, éparpillés, décentralisés, inventent un personnage mythique sensé se trouver partout où il y a des attentats (terme à double-tranchant comme le remarque Coupat). Les nazis finissent par croire à son existence, finissent même par annoncer sa mort. Ils ne pouvaient pas envisager que leurs adversaires ne leur ressemblaient pas. Pour les nazis, il fallait des chefs, des quartiers généraux, des têtes à couper pour désorganiser le corps. Nos gouvernants, Sarkozy en tête, ne sont pas des nazis mais ils tombent dans le même piège, le piège une fois de plus dressé par les hommes libres.

Plus longtemps Coupat restera en prison, plus son influence quasi mystique grandira. J’imagine que les éditeurs se disputent déjà ses mémoires. Mais que pensent nos chers hommes de pouvoir ? Que peuvent-ils faire maintenant ? Libérer ou inventer les preuves d’une fausse culpabilité. Une culpabilité de quoi ? D’avoir retardé quelques trains ?

Tout le problème est là. Le crime, à première vue, est secondaire. Mais si le pouvoir s’acharne contre un hypothétique coupable ce n’est pas par simple erreur d’appréciation. C’est aussi parce que ce crime minuscule, facile à perpétrer, sans risque, peut mettre une nation moderne à terre. Le gouvernement ne peut pas couper la tête de la résistance car elle n’en possède pas mais la résistance peut décapiter le gouvernement en appelant L’insurrection qui vient. Le gouvernement a compris que Coupat, comme des millions d’autres, ne sont ni à droite, ni à gauche, encore moins au centre, mais que, parce qu’ils sont hors des structures intelligibles dans l’ancien paradigme, ils constituent sa seule réelle opposition.