Je ne peux pas cacher que j’ai éprouvé du plaisir en lisant L’insurrection qui vient. J’y ai retrouvé bien des idées que je ne cesse de mettre en avant comme la puissance de l’auto-organisation, de l’émergence sociale, de la faiblesse des structures centrales opposées aux réseaux décentralisés…
Le livre se divise en deux parties assez inégales. La première, la plus entraînante, décrit les maux du système avec force. L’auteur anonyme, car je doute qu’il s’agisse d’un comité d’auteurs comme annoncé en couverture, renvoie dos-à-dos toutes les cliques, la droite et la gauche, les syndicats et les entreprises, les églises et les gourous new-age adeptes du coaching. C’est du Besancenot version anar, avec rejet de l’idée même de parti politique comme solution.
À la décentralisation du pouvoir répond, dans cette époque, la fin des centralités révolutionnaires.
Avec la verve d’un Guy Debord, l’auteur exhorte à substituer au culte du moi le culte de l’entre-moi, de l’amitié profonde et intense vécue jusqu’à la passion destructrice. Ce discours bien mené puise à diverses sources, sans jamais les citer, question peut-être de les plonger dans un anonymat quelque peu idéalisé.
Parce que c’est l’hypothèse du Moi qui partout se fissure.
J’avoue être resté sur ma faim, ne découvrant aucun insight particulièrement neuf. Après l’annonce de la mort clinique de notre civilisation, qu’est-ce que l’auteur allait nous proposer ? L’insurrection bien sûr, sujet de la seconde partie. J’ai alors découvert avec surprise un résumé engagé des idées et théories de John Robb, juste évoqué comme expert en sécurité américain (L’insurrection qui vient est sorti le 22 mars 2007, Brave New War de John Robb le 20 avril 2007 mais Robb anime son blog, Global Guerrilla, depuis 2004 ).
Sans le pragmatisme de Robb, l’auteur évoque les méthodes insurrectionnelles qui ont prouvé leur efficacité grâce à l’auto-organisation. Mais pourquoi s’insurger ? Juste parce que c’est possible ? Pour achever la bête ? Mais après ?
Le sentiment de l’imminence de l’effondrement est partout si vif de nos jours que l’on peine à dénombrer toutes les expérimentations en cours en fait de construction, d’énergie, de matériaux, d’illégalisme ou d’agriculture. Il y a là tout un ensemble de savoirs et de techniques qui n’attend que d’être pillé et arraché à son emballage moraliste, caillera ou écolo. Mais cet ensemble n’est encore qu’une partie de toutes les intuitions, de tous les savoir-faire, de cette ingéniosité propre aux bidonvilles qu’il nous faudra bien déployer si nous comptons repeupler le désert métropolitain et assurer la viabilité à moyen terme d’une insurrection.
Ok, nous devons apprendre à résister mais pour construire quoi ? L’auto-organisation est alors invoquée avec son corolaire l’émergence. Quelque chose finira bien par jaillir, quelque chose d’imprévu. Il m’arrive d’user de la même rhétorique. C’est vrai qu’on ne peut pas prévoir ce qui se produira mais on peut au moins rêver.
L’auteur ne rêve pas. Erreur assez monumentale à mes yeux, il oublie que l’émergence ne se produit que si un jeu de règles fécondes est adopté par le système auto-organisé. En l’absence de règles, le système bascule dans le simple désordre (dire anarchie serait déplacé). En lisant, j’ai eu l’impression que l’auteur cherchait simplement à réveiller les vieilles idées du dix-neuvième siècle, siècle souvent pris en exemple d’ailleurs.
Alors j’attends encore l’insurrection, la véritable, celle qui renversera un monde dans l’idée d’en bâtir un autre. Je croisque cette insurrection reconstruit déjà le monde, des mondes. Elle a compris qu’il ne servait à rien d’abattre un système moribond, ou même de souhaiter sa chute.
Au fil des pages, les rappels à l’actualité franchouillarde m’ont exaspéré. L’auteur s’y montre infovore, intoxiqué, victime de la manipulation qu’il dénonce et qui entretient la peur et le dégoût. J’ai entendu le cri de quelqu’un qui sait qu’il faut changer de vie et qui, sans doute, un peu comme nous tous d’ailleurs, n’a pas achevé sa mue. Quand on s’est définitivement éloigné de tout ce qu’on dénonce, on n’a plus besoin d’en parler. J’espère que je retiendrai la leçon pour moi-même. On est souvent plus lucide en lisant les autres quand se relisant soi-même.
PS. Si Julien Coupat est l’auteur de L’insurrection qui vient, il a beaucoup murit en deux ans. Son interview dans le Monde me paraît beaucoup plus intéressant. J’y note la même volonté de s’effacer, de refuser les titres et toutes les classifications. J’ai en revanche trouvé le propos un brin relativiste alors que dans le livre le relativisme des postmodernes est à juste titre fustigé.