Je ne me suis jamais trop intéressé à la politique politicienne, moins aujourd’hui que jamais, mais comme l’université d’été du Modem se déroulait près de chez moi, j’y suis passé faire un tour. Je voulais y retrouver des amis. Quand j’arrive samedi en fin d’après-midi, l’un d’eux m’envoie un SMS : « C’est un parti mort qui réunit ses vieux. Un vrai piège… Je me suis barré. »

En attendant Virginie Votier et sa troupe de « jeunes engagés », j’observe les allers-venues, de loin, je picore des conversations moroses où il est question d’alliance ou non avec le PS, d’élections, encore d’élections, jamais d’idées, juste de tactique. Les plus jeunes ont d’ailleurs trouvé une meilleure occupation, ils jouent au poker. Le Modem ressemble à une grande famille, un Club Med où on s’emmerde, avec une animatrice qui organise des trivial pursuit pitoyables. Ambiance troisième âge. Une jeune journaliste ne cessait de bailler.

Mais les militants ne devraient-ils pas être en train de refaire le monde ? Une université d’été n’est-elle pas l’occasion de débats passionnés ? Je n’ai vu aucun cercle sauf ceux d’alcooliques anonymes.

Que faisaient tous ces gens dans ce VVF de la Grande Motte ? Ils étaient mieux que seuls chez eux devant leur TV. Ils préfèrent encore le Modem, question de partager un peu de chaleur humaine. Pas question de quitter le navire, on coulera avec lui.

Le plus terrible, c’était le clientélisme évident. Les militants débraillés, essoufflés, qui avaient payé leur entrée et leurs déplacements. Et les VIP, impeccables, rasés de près, tout frais payés et qui dormaient à l’hôtel. Comment peut-on supporter ça ? Cette inégalité première, affirmée, clamée. Cette injustice, ce manque d’équité. Comment penser construire un édifice solide sur des bases aussi douteuses. Il n’est pas question encore de démocratie, même pas de ses prémices dans le ghetto de la noblesse de robe.

Le mal est là.

On est loin de Gandhi qui cherche à se réformer lui-même avant de réformer le monde.

Je voyais des gens qui voulaient être élu, rien que ça, bénéficier d’un petit pouvoir, et d’autres gens, admiratifs, qui voulaient profiter par ricochets de ce pouvoir pour eux inaccessible. Le pouvoir et rien que le pouvoir. Sans savoir qu’en faire une fois au pouvoir. Mais que ferait Bayrou au pouvoir ? Il n’y a guère goûté, n’ayant aucune idée de ce que signifie manager, à commencer par s’entourer de gens plus intelligent que soi.

Rencontre avec un transfuge de l’Est

Yann Wehrling
Yann Wehrling

Virginie finit par me rejoindre, on boit un coup, puis elle me présente Yann Wehrling. Je connaissais son nom parce que Quitterie Delmas m’avait parlé de lui quand elle m’avait raconté son histoire. En préambule, je dis à Wherling. « C’est donc toi qui a choisi le mauvais cheval. » Référence à son départ des Verts avant les européennes pour rejoindre le Modem. « Mauvaise pioche. »

Je le sens se crisper, c’est pas pour me déplaire. Il bafouille une justification pas convaincante. Je lui balance qu’il a rejoint le parti qui n’avait pas d’idée. Il s’énerve, il me dit que tout le monde dit ça et que c’est faux. « C’est quoi vos idées ? » Il se sent agressé parce que je lui pose une question avec insistance, ce que ne font jamais les journalistes, remarquez (et c’est pour ça que la presse agonise).

Il me demande si je suis pas un partisan d’Europe écologie (parce que je ne peux pas être journaliste, vu mon ton). Je renouvelle ma question. Il esquive par une contre attaque : « Tu as lu notre programme pour les européennes dans l’Est ? On a fait 150 propositions avec Jean-François Kahn. Je peux pas te dire qu’elles sont mes idées (sous entendu j’en ai trop). » Du petit lait pour moi qui dénonce depuis longtemps le melting-pot politique.

Avoir une vraie idée dans une vie, c’est beau. Être capable d’en sortir 150, c’est absurde. « Une collection de mesures sans queue ni tête ne fait pas une idée, je réponds en substance. Donne-moi tes mesures et voyons si elles sont cohérentes entre elles ? Je suis sûr que non. » Sur ce Wehrling me plante, me disant qu’il refuse de discuter avec les gens qui l’agressent. Moi qui croyais qu’on aimait la politique pour les débats enfiévrés.

Je me retrouve entre les mains d’un autre militant qui avait assisté à la conversation. Il me dit que sur le fond j’ai raison. « Au Modem, on est incapable de dire ce qu’on est. » Pendant ce temps, j’entends Wehrling qui demande à Virginie. « C’est qui ce mec ? » Elle répond « Un blogueur. » Je l’aurais tuée.

Une fois le militant parti, je rattrape Wehrling et je lui dis qu’il faut arrêter de cracher sur les idéologies, il faut une idéologie pour faire de la politique. Il me répond qu’il est contre les grands systèmes universaux. « Et ça, c’est pas une idéologie ? Tu peux dire que tu es anti-idéaliste, pas de problème. Je le suis aussi. » Commence une conversation un peu plus calme mais je suis en train de l’entraîner sur une pente où il n’a jamais skié.

Je lui parle de la méthode scientifique. Aussi une idéologie. Où es le problème du moment que l’idéologie est féconde. « Qu’elle est-donc l’idéologie du Modem ? Selon quelles approches défendez-vous vos mesures. Comment réagissez-vous à une mesure nouvelle proposées par quelqu’un d’autre ? Qu’elle est votre grille de lecture ? »

Je tente vainement, je le voyais bien, d’expliquer qu’on commence par dégager une grande ligne avant de s’occuper de pondre 150 mesures. Sinon, il est fort à parier que ces 150 mesures sont incohérentes même si toutes inspirées par le bon sens. Il me dit « Je suis un pragmatique. Je suis pour les petites mesures concrètes. » « C’est donc ça la nouvelle idéologie du Modem ? » Grand blanc. On en restera là. Les modémistes ont oublié d’apprendre à réfléchir. C’est un monde de moutons aveugles.

Les Verts peuvent dire « Nous sommes pour la décroissance. » Les gauchistes : « Nous sommes pour donner aux pauvres l’argent des riches. » Sarkozy : « Je veux devenir le président de l’Europe, puis du monde. » Le programme est chaque fois clair. Au Modem, les militants renvoient toujours au Bayrou de 2007, on va prendre les meilleures idées à droite et à gauche, on va travailler avec tout le monde. Réveillez-vous. Sarkozy vous a piqué l’idée pour son projet messianique.

Pas de place pour trois

Cette idée qu’un parti peut exister entre tous les autres, dans le but totalitaire de pratiquement tous les absorber, est absurde, bien digne d’une machine à perdre.

Dans les démocraties, en période stable, il existe presque systématiquement deux partis dominants. La raison en est mécanique. S’il existait dix partis récoltant chacun 10 % des voix, 90 % des électeurs se retrouveraient dans le camp des perdants. Pas bon pour le moral social. Pour minimiser le nombre de perdants, il faut tendre vers 51/49, c’est-à-dire deux forces plutôt homogènes, droite-gauche, conservateur-démocrate. Ce glissement n’est pas réfléchi, décidé par quiconque, il se produit naturellement, par frottements et ajustements adaptatifs.

Soit le Modem s’allie avec une des deux formations dominantes, soit il prend la place de l’une d’elle. Il n’existe pas d’alternative, sauf à espérer un état de désordre. Le Modem verse donc à gauche, mais en versant à gauche, il a tout faux.

En 2006, inconsciemment, Bayrou a lancé sa ligne dans le pool, parfois appelé des créatifs-culturels, en gros entre 25 et 35 % de la population des pays occidentaux. Ces gens ne se sentent ni de droite, ni de gauche, ils aspirent à une autre chose, cette autre chose un temps agitée par Bayrou. Une alliance avec la gauche, équivaut à perdre ce potentiel, potentiel déjà d’ailleurs récupéré par Cohn-Bendit et sa bande d’écologistes à tendance alter.

Si ces derniers ne commettent pas d’erreur, pas d’alliance à droite ou à gauche, ils monteront à 25 %, c’est eux qui iront au second tour en 2012, car ils auront réussi à renvoyer gauche et droite dans le même camp.

Pendant ce temps, au Modem, on rêve encore de changer la politique. Imaginez une entreprise qui aurait décidé de changer le business. Les fondateurs se demandent de quelle couleur ils peindront les bureaux, où ils placeront les chiottes, ils discutent pendant des heures du type adéquat de papier toilette mais jamais ils ne parlent du produit qu’ils proposeront. Le produit, c’est l’équivalent de l’idéologie. Le Modem n’en a pas. Il n’a rien à vendre sinon son VRP défraîchi mais il veut des clients, il veut leurs voix, il veut être élu, il veut sa place en tête de gondole dans les supermarchés.

C’est pas un bug ça ?

Le Modem vend du vent, une promesse mystique d’un autre politique possible, une politique du vide… le vide autour de soi comme réussit à le faire François Bayrou. Peut-être qu’une fois totalement seul, débarrassé même de son inséparable Marielle de Sarnez, il pourrait commencer à se reconstruire et à penser au produit.

Premier conseil : perdre du poids et aller faire des randonnées dans les Pyrénées dans les environ de Pau.

Deuxième conseil : pas d’alliance à gauche mais avec les écologistes.

Troisième conseil : ne pas se brûler les ailes lors des régionales, se concentrer sur 2012, construire une idéologie novatrice, prendre de la distance avec justement la politique traditionnelle.