Depuis 2005 et le référendum européen au résultat confisqué, il était prévisible que les voix sur le Net allaient prendre de plus en plus de force, non pas à cause d’une personne en particulier, qui serait idolâtrée, mais par l’alliance de millions d’anonymes… par cette intelligence collective souvent moquée par les apparatchiks.
Nous en avons la preuve aujourd’hui. Quand les médias traditionnels cherchent à enterrer les affaires (Brice Hortefeux, Frédéric Mitterrand, Jean Sarkozy… et ce n’est qu’un début), elles reviennent sans cesse au devant de la scène, reprises jusqu’à plus soif, parfois avec mauvaise fois, dans le but de crier ce que tous doivent savoir et qu’une classe bienpensante voudrait étouffer.
À ce moment, les médias encore pour un temps de masse n’ont plus d’autres choix que de suivre le mouvement populaire. Comme ils prennent le train à retardement, ils se discréditent car leur audience comprend qu’elle a été privée d’un débat exacerbé (je dis bien d’un débat et pas d’une information). Cette audience de plus en plus écœurée par le politiquement correct se détourne alors progressivement.
Rien de neuf à vrai dire. Je débute Le cinquième pouvoir par raconter une affaire semblable à l’affaire Hortefeux, une calomnie raciste qui finit par coûter au sénateur Allen son mandat et qui le prive de briguer l’investiture pour affronter Obama lors des élections 2008 (au moins aux États-Unis ça va jusqu’au bout).
Je croyais que la classe politique et que tous les héritiers du one to many avaient compris que le monde avait changé. Non. Tout, au moins en France, jusqu’à ces derniers jours, ils n’avaient pas compris et ils sont en train de comprendre. Le réveil est douloureux mais je crains qu’il ne s’effectue du mauvais pied.
Vu les attaques sans cesse renouvelées ces derniers temps contre Internet, je crois que cette fameuse classe sait enfin que le peuple dispose d’une arme de destruction massive. Et c’est maintenant que la guerre commence. Hadopi était pour amuser la galerie, un protectionnisme de premier niveau, de quoi se donner les moyens de punir à l’improviste les voix les plus dérangeantes.
Mais, au fond, la menace n’avait pas été prise au sérieux. On avait écouté quelques conseillers un peu éveillés mais on n’avait pas soi-même ressentit la douleur de la morsure du Net. C’est un peu comme avec le réchauffement climatique. On sait qu’il existe mais, tant que rien ne change dans notre quotidien, on ne bouge pas. Savoir qu’ailleurs des gens déjà en souffrent c’est un peu comme savoir que, dans un autre pays, un politicien se fait flinguer par les foules lyncheuses.
Il en va tout autrement quand la foule gronde à vos fenêtres. On prend peur et, quand la peur nous noue le ventre, on est prêt à se battre de toutes ses forces. Le professeur Lordon explique que ceux qui profitent du système financier actuel, et leur thuriféraires, nos gouvernants qui leur mangent dans les mains, se battront jusqu’à la dernière goutte de sang. Ils mourront sur le champ de bataille s’il le faut. Ils ne renonceront pas à leurs privilèges. Alors pour les défendre, ils redoubleront d’acharnement contre cet Internet populiste et par trop idéalement démocratique.
Ils avaient fini par accepter la démocratie illusoire, « donner le droit de vote », il est hors de question qu’ils effectuent un pas de plus vers une démocratie de tous les instants. Ils n’auront de cesse de mettre en avant l’avis des experts par rapport à celui du peuple, les œuvres des artistes officiels par rapport à celles des amateurs, le business des grands groupes par rapport à ceux des artisans… Cette rhétorique déjà bien huilée n’aura de cesse de se perfectionner et, en même temps, ils tenteront de la renforcer avec des armes juridiques et policières.
J’anticipe des jours noirs pour les libertés numériques. Mais nous nous battrons aussi, nous ferons gronder nos voix jusqu’à ce que les médias fossilisés n’aient plus d’autres choix, pour sauver leur business, que de nous suivre tout en lâchant ceux qu’ils défendaient jusqu’à présent. Le combat sera long et douloureux. En France, comme souvent lors de conflit mondiaux, nous sommes en première ligne. L’histoire va-t-elle se répéter ? Les nouveaux régimes n’ont-ils pas comme destin de devenir des anciens régimes qu’il faut alors abattre ?