Narvic me parle souvent du livre de Jacqueline de Romilly Problèmes de la démocratie grecque. Lecture stimulante et que tous ceux qui s’intéressent à la démocratie devraient lire en effet. Je ne vais pas effectuer un compte rendu du livre car Narvic veut en faire un et il le fera plus méticuleusement que moi. Je me contente de lire avec en tête trois formes possibles de démocratie.

  1. La démocratie représentative qui est la nôtre et que je pense en bout de course (je commence à deviner qu’elle va de pair avec l’information solide).
  2. La démocratie directe que les Grecs ont poussée à son summum tout en critiquant ses faiblesses, objet du livre de Romilly (va de pair avec l’information pour une grande part gazeuse, la vox populi).
  3. La démocratie participative telle que je la définis à la fin du Cinquième pouvoir (temps réel, non représentative, sans élection, non universelle, non égalitaire… rendue possible grâce à internet et l’information liquide). Et sur laquelle je reviendrai dans mon prochain livre car elle prendra tout son sens dans le Flux.

Au sujet de la naissance de la démocratie, Romilly écrit :

Les institutions avaient évolué doucement à coups de retouches de détail, qui, pour finir, ne laissaient rien subsister de l’état primitif.

Cette transition institutionnelle en douceur, presque celle d’un monde liquide qui se transforme sans cassure, s’est accompagnée de troubles politiques et sociaux incessants. Réussirons-nous à basculer dans le flux avec plus d’élégance ?

[…] le « peuple » ne représente qu’une classe sociale bien déterminée, qui n’avait accédé que depuis peu à la vie politique. Le mépris des aristocrates pour son aveuglement en est naturellement plus vif et plus chargé d’amertume.

[…] le peuple est ignorant, et s’aggrave avec l’expérience qui révèle en lui des passions violentes.

Les aristocrates – on le conçoit étaient plein de mépris pour ce peuple qui venait d’accéder, sans transition ni éducation, à l’exercice des responsabilités politiques. Les termes dont ils se servent pour le désigner sont révélateurs. Alors qu’eux-mêmes s’appellent sans complexe les « meilleurs », ou les hommes « nobles », ou les « gens de biens », le peuple représente pour eux les « méchants ».

Je ne peux m’empêcher de penser aux sorties de nos élites contre internet en lisant Romilly. Les aristocrates n’ont jamais appréciées que le peuple élève de la voix. C’est pourtant ce qui s’est produit à Athènes, ce qui se produit aujourd’hui sur internet. Le parallèle est frappant même si internet n’est pas encore institutionnalisé.

[…] les tentatives de réforme plus ou moins oligarchiques réclamèrent toujours une diminution du corps civiques selon des critères censitaires.

N’en est-on pas là ? Certains hommes politiques aimeraient donner des labels à certains blogueurs ? Et discréditer les autres. Tout cela dans le but de réduire le poids du peuple. Ségéla apprécierait à coup sûr, sans parler de nos amis Wolton et Finkielkraut.

Cette justice populaire, qui ne comportait, après l’instruction préliminaire, ni juges professionnels ni avocats, ne ressemble, évidemment, à aucun système moderne ; elle implique une souveraineté populaire plus directe et plus effective.

Romilly écrit son livre en 1976, elle ne pouvait pas alors savoir qu’un système moderne, Internet, allait par certains aspects ressembler à cette démocratie athénienne où le peuple ignorant pouvait s’exprimer avec autant de force que le philosophe.

Le peuple gouvernait, au lieu de simplement élire les hommes chargés de gouverner. Ceci aggrava les problèmes soulevés par la démocratie : le désordre, le règne des passions partisanes, pouvaient en être accrus ; en tous cas, l’aveuglement populaire devenait plus visible et plus lourd de conséquences. En revanche, cette démocratie échappait plus qu’une autre au risque de voir se constituer une classe politique soucieuse de succès immédiats et de gains personnels, seule informée et seule agissante.

Ça ne vous rappelle rien ? D’un côté, les accusations contre les foules lyncheuses. De l’autre, les élites qui s’accaparent le pouvoir. On tombe dans un travers ou dans l’autre. Je crois justement que ma troisième forme démocratique nous permettra d’éviter ces deux écueils. Je tenterai d’en faire la démonstration dans mon livre.

En préférant à l’élection le tirage au sort, on répartissait plus largement la souveraineté populaire : au lieu de fonctionnaires compétents, les citoyens géraient eux-mêmes l’État.

Et Romilly cite Aristote :

Le tirage au sort est considéré comme démocratique, l’élection comme oligarchique.

Tout est dit. C’est rédhibitoire. La démocratie représentative n’est pas satisfaisante, pas plus que celle par tirage au sort, pas plus que la démocratie ultra directe et populiste. Nous devons inventer une troisième voix que je n’ai fait qu’esquisser à la fin du Cinquième pouvoir.

[…] échapper à l’insolence d’un tyran pour choir dans celle d’une populace effrénée est chose qu’on ne saurait aucunement tolérer, écrit Euripide.

Toutes ces citations proviennent des 40 premières pages de Romilly. Pour le peu que j’ai lu la suite, elle détaille chacun de ces points. J’y reviendrai au fil de ma lecture.