Accepter d’aller défendre seul une idée dans une communauté fermée, celle d’arrêt sur image, c’est un peu du suicide mais j’aime la bagarre. Financièrement, je n’ai rien à perdre, les médias en ligne beaucoup… Quant à mon image brut de décoffrage, elle ne fera que répugner ceux que je répugne déjà. La vidéo du débat enregistrée mardi dernier n’étant pas en diffusion intégrale, je ne peux que vous raconter ce que j’ai vécu et mon état d’esprit.

Tout d’abord Internet pour moi est un monde d’ouverture et de partage. Animer un site fermé et accessible sur abonnement est un anachronisme qui nous ramène à l’époque d’avant le Web, du temps de Compuserve et de MCI.

Fermeture implique pas d’inter-fécondation, pas d’intelligence collective, repli sur soi, communautarisme… assèchement progressif jusqu’à la mort par asphyxie. Voilà sans doute pourquoi j’ai assez vite lancé à Daniel Schneidermann qu’il ne comprenait rien à Internet (ce qui me vaut une fatwa chez lui).

Je m’en excuse. J’évite les attaques contre l’homme à l’écrit et à l’oral j’en abuse, juste pour chercher la bagarre. Je déteste les débats politiquement corrects avec les clins d’œil et les connivences. On ne se change pas. Et si, à cause de mon attitude, on me traite de rigolo, je m’en moque. Le rigolo, comme le bouffon, est souvent celui qui ne se prête pas à la règle.

Mais mon invective contre Daniel cache quelque chose pour moi de profond. Elle n’était pas si en l’air que cela. Si j’avais été un politicien, j’aurais dû me mettre Daniel dans la poche puisqu’il a choisi de refuser les subventions destinées à la presse en ligne. Il est a priori mon allié dans le débat, mais en fait seulement en apparence.

Il défend le même monde que les médias qui courent après les subventions. Un monde de Gaulois irréductibles protégés dans leurs petits villages avec leurs privilèges. Leur palissade : ils invoquent sans cesse leur statut et leur professionnalisme… Vous percevez les sous-entendus : nous autres blogueurs n’avons pas de statuts et nous ne sommes que des amateurs.

Ils ont plus de mal quand il faut parler de leurs créations, du fruit de leur travail pour justifier leur position. Et quand, ils annoncent leur audience, je ne peux m’empêcher de sourire. Rue89, c’est 1,5 millions de visiteurs uniques mois. Impressionnant ? Pas vraiment, pas de quoi faire vivre une équipe de journalistes. Il faut être réaliste.

Aujourd’hui, Daniel refuse les subventions, je le félicite, mais demain s’il a le choix entre la subvention ou mettre la clé sous la porte tiendra-t-il le même discours ? Nous verrons bien parce qu’il ne fait à mon sens aucun doute que la forme actuelle d’Arrêt sur image ne perdurera pas.

Trop de coûts de structure. Et puis à quoi bon observer la télévision depuis Internet. Pourquoi se limiter à la télévision ? Je ressens une frustration, le regret de ne plus être à la TV, avec les moyens de la TV. Si une grande chaîne proposait à Daniel de revenir en live refuserait-il ? Je ne vais pas répondre à sa place.

Mais pourquoi venir sur Internet pour regarder en arrière, vers le monde qui meurt alors qu’un monde devant se cristallise peu à peu : le Flux.

Nous sommes tous dans le même bateau. Nous voyons que les anciennes façons de faire ne marchent plus, les nouvelles se cherchent un équilibre. Ce n’est pas une époque confortable mais c’est pour cette raison qu’elle est excitante.

Subventions ou non, l’ancien modèle de la presse et le modèle actuel des pure-players est intenable. Par rapport aux blogueurs, ils partent dans le rouge et ils n’ont aucun avantage concurrentiel sur nous.

Nous avons donc toutes les chances d’arriver dans le vert avant eux. Alors nous effectuerons les enquêtes qu’ils ne pourront plus faire, nous effectuerons le métier auquel ils tiennent tant mieux qu’ils n’arrivent à le faire. La diversité de nos voix garantira l’indépendance globale de ce que nous dirons. L’information sera enfin libre. Et la presse renaîtra de ses cendres sous une forme nouvelle.

Le scoop de Rue89

Au final, il a émergé de ce débat quelque chose de positif, presque d’enthousiasmant et j’en remercie Pierre Haski de Rue89 pour avoir entrouvert, peut-être hâtivement la porte.

Son journal repose aujourd’hui sur Drupal, un CMS Open Source. Haski a demandé la subvention pour pouvoir ajouter des modules à Drupal afin de rendre son site plus performant. Il me paraît alors naturel que ces développements soient reversés à la communauté Drupal, que nous puissions tous les utiliser dans nos blogs.

Haski en a convenu. Ainsi les subventions gouvernementales finiraient par bénéficier à tout l’écosystème Internet. Elles ne seraient plus ségrégationnistes. Indirectement le gouvernement aiderait ainsi à construire de nouvelles autoroutes.

Il me semble que toutes les subventions devraient concourir à créer des biens publics. Les autres bénéficiaires vont-ils faire la même promesse ? Car aujourd’hui, à ma connaissance, ils utilisent tous des plates-formes Open Source. Il ne s’agirait pas de prendre à la communauté Internet quand ça arrange, ne pas lui rendre quand c’est possible (pour préserver un avantage).

Le patron du monde.fr nous sort alors que le gouvernement ne finance pas à 100 % les projets, ce qui justifierait de ne pas libérer le code ainsi produit. Je crois rêver. À combien estime-t-il la valeur des logiciels Open Source qui ne lui ont rien coûté ? Il est bien logique que lui aussi investisse, fasse un retour d’ascenseur à la communauté des développeurs sans laquelle il n’existerait pas.

D’une manière plus générale, toutes les aides de l’État devraient être reversées. Un film subventionné par l’État devrait être en libre téléchargement sur le Net. Et ainsi de suite…

Le forum d’Arrêt sur Image semble peuplé par beaucoup de gens de gauche qui m’ont vu comme un défenseur du libéralisme. Mais ouvrez les yeux ! Je propose que le gouvernement construise des autoroutes que nous puissions tous emprunter sans passer par des péages. Or, ce que font tous les gouvernements depuis longtemps, c’est d’aider des entreprises privées à se construire des châteaux au bord des rares autoroutes existantes. Alors je suis un affreux de droite ?

PS1 : J’avais pas prévu une chose que mes interventions laissent sans doute transparaître. Je n’avais pas pensé que je m’adresserais sur ce plateau à des gens qui n’ont aucune idée de ce que j’ai dans la tête (déformation du blogueur qui vit dans sa communauté). Toutes mes histoires de flux, de décentralisation, d’auto-organisation… J’étais pas venu dans l’idée de vulgariser et en parlant je voyais bien que personne ne comprenait ce que je voulais dire. Tout simplement, je n’étais pas en mode promotion, chose que j’ai appris à faire à la sortie d’un livre. J’étais encore la tête dans mon atelier de réflexion, dans l’état d’esprit de celui qui partage quelque chose de non encore formalisé… à l’image ou à la radio ça ne passe pas. Il faut que je m’entraîne à expliquer à l’oral le Flux à ceux qui ne l’ont pas expérimenté.

PS2 (15h13) : À ceux qui disent que je dis n’importe quoi, je conseille de visionner la vidéo du débat ou d’interroger Pierre Haski. Et aussi à venir débattre ici, pas à se cacher sous les 140 caractères de Twitter.