Au cours du XXe siècle, les romanciers ont tenté de mettre en scène l’écriture du roman lui-même, faisant de l’écriture le sujet même de la littérature. Ce projet est peut-être discutable quand il s’agit du roman, on peut ne pas apprécier, mais il me paraît indispensable pour le penseur.

Si on refuse les systèmes, on n’a d’autre choix que d’exposer la pensée en même temps qu’elle se forme, dans toutes ses imperfections et contradictions. Il est vain de vouloir attendre qu’elle soit formée, stabilisée et cohérente. La consistance n’existe pas pour qui refuse les systèmes, sa seule consistance réside dans sa constance à se livrer dans toutes ses imperfections. La pensée apparaît alors comme une histoire.

Et quel meilleur support rêver que le blog pour mener à bien ce projet intellectuel ? Un jour, je peux y opposer blanc noir, quelque temps plus tard jaune à rouge et ainsi de suite. Ce n’est pas que je pense par catégories, mais que je catégorise pour mieux détruire les catégories et faire bouger les frontières.

Je ne vois pas d’autres façons d’aborder la complexité. Tous ceux qui cherchent à parler gris, avec des parenthèses partout, mais avec des textes qu’ils veulent définitifs, ne peuvent échapper à la catégorisation. C’est peut-être la plus grande erreur de Morin. À livrer des textes achevés, il a décrit une pensée qu’il n’a peut-être pas pratiquée.

Ma façon d’écrire, de penser, est avant tout ludique. Il n’y a rien de sérieux dans aucune théorie, surtout quand elle se veut politique ou philosophique. Seul l’usage que font les gens d’une théorie peut être sérieux parce qu’ils la prennent au sérieux, lui accordant plus d’importance que le théoricien lui-même.

Pourquoi vivons-nous sinon pour expérimenter et jouir ? Je ne vois aucune autre raison. Cela n’empêche pas de mener une vie morale, de vouloir le bien des autres, de se battre contre les oppresseurs, contre les destructeurs du monde, contre tous ceux qui veulent rendre le jeu désagréable pour le plus grand nombre, dans l’intention de mener leur partie à leur guise.

Raveline m’a fait m’interroger sur mes valeurs qui ne peuvent exister dans le cadre de la complexité mouvante, sinon comme des moments. J’aurais dû parler du ludique. N’est-ce pas ma pseudo-valeur cardinale, celle qui dure depuis le plus longtemps pour moi ? Et si j’attache de l’importance à la liberté, c’est parce qu’elle est nécessaire au jeu. Et que si les autres sont aussi libres, le jeu est plus intéressant.

J’en arrive toujours à la même conclusion. L’art nous apprend plus sur les hommes que les théories des philosophes ou des sociologues. L’art nous parle de ce qui ne peut se dire, de ce qui ne peut s’objectiver. L’art donne à penser et à vivre en même temps, il ne sépare pas l’esprit et le corps. Il est une expérience totale avec laquelle l’intellection seule ne peut rivaliser.

Alors il me semble que nous devons penser en artiste, en joueur, en équilibriste, pour le plaisir de provoquer des connexions dans le cerveau plus que de formuler une quelconque théorie utile ou, pire, vraie.

Nous autres joueurs vivons dans un univers façonnable. Nous respectons la règle, mais pouvons nous entendre pour la changer. La vérité, c’est la règle, le bref instant où nous les respectons tous. Autant dire une utopie.

Certains affirment que le blog est mort alors que nous n’avons découvert qu’une infime partie de ses possibilités d’usage. Dire que le blog est mort c’est comme dire que la littérature est morte. Absurde : le blog ouvre de nouvelles perspectives à la littérature. C’est le blog comme plateforme d’egocasting qui est mort. Et on ne va pas s’en plaindre.