5 200 tweets, 675 000 signes, l’équivalent d’un roman de 500 pages, 16 mois de publication quotidienne sur @tcrouzet, La quatrième théorie s’est achevée hier. Cette histoire a commencé trois fois… avant de se découvrir cette fin provisoire.

Une première fois

Au début des années 1990, je m’intéresse à l’écriture à contrainte. Je lis le Nouveau roman, Pérec, l’Oulipo… J’écris deux petits romans.

Équinoxe d’automne (1992), avec une contrainte temporelle, équivalence entre le nombre de signes et la durée de l’action décrite (passage obligé par une macro Word).

Puis Genius Locus (1993 pour la première version) qui reprend le principe de la musique sérielle (la musique à contrainte) avec la tentative d’introduire de l’hypertexte (des encadrés appelés dans le texte).

Je greffe dessus d’autres contraintes plus stylistiques : refus du « mais » inspiré par Léautaud, minimisation des relatives… j’en passe (j’abuse encore une fois des macros).

J’ai fini par envoyer tout cela balader, par écrire sans forme, uniquement dans des carnets, avec la liberté de celui qui ne se relit presque plus, exemple Pensé de Sicile (1996), une pratique qui préfigurait le blog.

J’avais toutefois appris une chose : la contrainte, comme la rime en poésie, stimule l’imagination et l’oriente dans une direction où notre pente naturelle ne nous pousserait peut-être pas.

Une deuxième fois

En 2003, à Seattle, une amie grande lectrice me prête un livre en me disant : «  voici le prochain carton planétaire. » Il s’agissait du Da Vinci Code, qui venait d’être publié.

Quelques mois plus tard en France, Serge Martiano, alors patron des Éditions First et alors que personne ne parle encore du Da Vinci Code chez nous, me suggère d’écrire un thriller dans la même veine qui s’intitulerait Croisade. Son idée : les chrétiens n’ont jamais cessé de pourchasser les musulmans. Il existe une organisation secrète.

Serge m’incitait aussi à m’adonner au techno-thriller, genre selon lui délaissé en France faute d’auteurs compétents technologiquement. Il me conseille d’écrire une croisade moderne.

À l’automne 2004, je suis de retour à Seattle, décidé à me lancer. Dans la maison d’hôte où nous logeons, j’empile les livres sur les croisades, les guerres de religion, les religions elles-mêmes.

Un matin, nos hôtes m’interceptent. Ils me demandent si je suis croyant. Je les déçois. Ils tentent de m’éveiller, me révélant le véritable but de la guerre en Irak, préparer le retour des prophètes. J’étais tombé dans un nid d’intégristes, des born again christians auxquels Bush était affilié.

Je tenais une histoire. Les chrétiens ne combattent pas les musulmans mais s’allient à eux. Pour préparer le retour des prophètes, ils doivent précipiter le jugement dernier, d’où notamment leur mépris pour l’écologie.

Je commence à travailler. M’inspirant de fait réel, j’imagine Severino (fondateur de Regnum Christi) et Mitch (ex-actrice porno ayant profané une église). Mais Le peuple des connecteurs me brûle les doigts et je passe à autre chose. En 2006, je refais une tentative infructueuse, introduisant les Freemen dans l’histoire, puis laisse tomber pour Le cinquième pouvoir, sans parler du blog et de mon projet récurrent sur Ératosthène.

Une troisième fois

Autour du 10 décembre 2008, je découvre dans Wired la définition du mot Twiller. Quelques jours plus tard, dans la série de ma brève histoire de l’informatique, j’imagine un texte pour illustrer l’art d’écrire à l’âge numérique.

J’avais recommencé à propulser Croisade sans trop m’en rendre compte. Les jours passent et ce texte me trotte dans la tête. Le 21 décembre, j’évoque l’idée de m’adonner au twiller et je me lance le 25 décembre, avec l’idée d’écrire 80 chapitres sur le thème de la néo-croisade technologique.

Mon passé d’écrivain masochiste m’a rattrapé. Je m’impose une nouvelle contrainte : aucune phrase ne peut dépasser les 140 caractères, interdiction de tricher. Dans un dialogue, il faut être bref. Le style mitraillette, sujet, verbe, et pas toujours le complément.

Je n’allais pas refourguer la vieille matière de mes tentatives avortées mais écrire sous l’influence de la contrainte. Je me suis pris au jeu à la poursuite de mes expérimentations littéraires, vivre en écrivant, écrire en vivant… la littérature comme processus plus que comme texte finalisé et archivé.

Et la suite… le roman est là. Je vais le retravailler, recoller les tweets, sans les casser dans la mesure du possible… lisser le phrases, jetter les répétitions infinies… J’utilise encore une fois un programme de ma confection. Il est douloureux car il colore le texte et met le doigt sur la pauvreté de mon vocabulaire (si des auteurs aussi malades que moi veulent se maltraiter, je leur donnerai l’URL).

Croisade va continuer sa vie… en toute probabilité sous forme d’un texte retravaillé, corrigé, édité…Il devrait être disponible en numérique avant l’été, puis peut-être sous-forme papier même si je n’ai encore rien négocié de ce côté.

Notes

  1. Le blog historique du Twiller est dorénavant en accès restreint.
  2. Je rassemble les informations sur le roman et les extraits sur une page dédiée.
  3. Je remercie par ordre d’apparition Iza, meriem, Henri A, Nessy, Lény, SdC et Emmanuelle. Grâce à vous, j’ai construit des personnages et une histoire dont je n’avais pas la moindre idée en me lançant. Après quelques semaines, vous m’avez laissé me débrouiller seul. Je pense qu’il ne pouvait en aller autrement. Outre les 140 caractères de Twitter, je m’étais fixé pour contrainte d’écrire une longue histoire. Ce travail sur la durée aurait exigé de vous que vous soyez dans ma tête, plus coauteur que commentateur. Il nous reste encore beaucoup de choses à inventer du côté de l’interactivité.